Voilà une occasion à ne pas manquer autre qu’une promo inutile sur un vieux smartphone ! La pièce Charles Péguy – Le visionnaire de Samuel Bartholin sera (re)jouée au théâtre de la Contrescarpe du 13 janvier au 31 mars, à deux pas du lieu où a étudié Charles Péguy, dont la pièce retrace la vie. Local et de saison donc. Une aubaine ! Pour vous servir, nous avons été rencontrer l’interprète de ce seul en scène, Bertrand Constant. Puisse cet article susciter en vous un brin de curiosité, et vous guider vers les bancs du public !

Dans Charles Péguy – Le visionnaire Constant retrace avec talent le fascinant destin de Péguy. L’acteur réussit un pari risqué : rendre compte de la profondeur et de la complexité du personnage en un temps record. Pris par la main, le public peut s’abandonner à un texte qui brille par sa clarté. On sort de la salle instruit et animé d’une folle envie d’en savoir plus. Il y est question de guerre, de politique, d’intégrité… mais aussi de nostalgie, de lettres et d’amour. Quant à l’acteur, il porte le personnage qu’il incarne comme s’il rendait hommage à un ami.

De l’armée à Péguy

Constant a fait l’armée sous des bannières dont les noms sont connus : il étudie à Saint-Cyr puis rejoint la Légion étrangère. À 28 ans, il décide de changer de voie et entame des études de théâtre ; il arrivera alors à Péguy presque par accident. Ce fut une heureuse rencontre : « J’ai découvert Péguy en lisant des biographies. Je me suis aperçu que ce poète était passionnant. Il m’intéressait beaucoup par rapport à mon propre parcours. J’ai été ému par sa façon d’être au-delà même de son œuvre littéraire. C’est surtout l’homme qui m’a touché au départ. » La pièce n’est d’ailleurs pas sur l’œuvre, mais sur la vie de Péguy. Car si le texte est de Bartholin, Constant n’est pas étranger au résultat final. Sa touche  se ressent à travers la dimension pédagogique de la création, notamment en ce qui concerne l’humour. Bien sûr, « ce n’est pas une pièce où l’objectif est de se bidonner pendant une heure », mais elle n’est absolument pas morose. « Je tiens beaucoup, en règle général, à l’humour. Je pense que l’humour fait intrinsèquement partie de la pédagogie humaine. Il faut savoir transmettre avec légèreté. Le théâtre ne doit pas être une punition, mais une proposition. Quelque chose qui ravive, qui fait plaisir. » Voilà une attitude rassurante quand on sait l’opacité de certains écrits de Péguy ! Constant est clairement animé du désir de rendre le personnage accessible et il se sert de la scène pour y arriver.  « J’ai joué dans des lycées. Si je le fais, c’est parce qu’il y a une vocation éducationnelle dans la vie de Péguy. Son parcours peut être intéressant pour les jeunes. Ce n’est pas juste du théâtre. Ce n’est pas juste une œuvre littéraire. Ça dépasse ce cadre»

Une création authentique

Le texte de la pièce est une création réalisée d’une main de maître par Bartholin. « J’ai rencontré Samuel Bartholin au Cambodge pendant un tournage. C’est un journaliste qui a vécu 10 ans là-bas. Je lui ai proposé le sujet, il s’est plongé dans Péguy, et il a écrit la pièce. J’ai ensuite été impliqué au niveau de la théâtralité, de la forme. Le travail de fond sur la compréhension de qui est Péguy, c’est Samuel qui l’a effectué. » Travail récompensé par une composition alliant profondeur et rigueur intellectuelle. « Samuel a fait un travail inouï. Tous les grands spécialistes de Péguy qui sont venus voir la pièce et avec lesquels j’ai échangé ont dit que c’était remarquable dans la restitution de qui était Péguy. » Aborder Péguy et ses multiples facettes est pourtant une tâche délicate. « Il faut discerner correctement le discours de Péguy. Il ne s’est pas enfermé dans une idéologie unique. Si les courants auxquels il s’identifiait n’évoluaient pas de la manière dont il les pensait, il était prêt à les quitter. Il était loyal envers lui-même. » La pièce est ainsi l’occasion de nuancer le discours de l’homme qui a fait l’œuvre et d’appréhender sa complexité. « Il y a des confusions avec Péguy. Certains disent que c’est juste un catholique, d’autres n’y voient que le dreyfusard. C’est faux. Il faut le prendre dans sa globalité. (…) Ainsi, il devient foncièrement humaniste et contre les idéologies. C’est l’humain qui est au cœur de sa réflexion, de sa volonté, de sa pensée. »

Une voix à entendre

S’intéresser à un tel géant de la littérature française comporte un risque : on peut se satisfaire d’en apprendre à son sujet sans plus écouter ce qu’il a à nous dire. On peut aller voir une pièce sur Péguy et en ressortir plus instruit, tout en évitant soigneusement de laisser le texte nous émouvoir. Or Péguy mérite qu’on s’y attarde, non pas simplement parce qu’il est incontournable, mais parce qu’il peut apporter un « rééquilibrage » : « Péguy peut proposer une modification de la pensée ambiante, de ce qu’on propose aux jeunes, parce qu’on est allé totalement vers l’opulence» Constant ne prêche pas pour un ascétisme violent, mais trouve en Péguy une source d’inspiration qui vaut le détour :  « Nous ne sommes pas obligés d’être comme lui, de proposer quelque chose de si dur. Mais si on pouvait bouger un peu le curseur vers des gens comme Péguy, peut-être que l’harmonie de la société en bénéficierait. » Comme Péguy, Constant se méfie des « jusqu’au-boutismes » et des « intégrismes ». Si nous devons suivre le poète, ce serait pour aller « vers plus d’intégrité, vers plus de fidélité à soi, aux autres, en amitié. Plus d’honnêteté intellectuelle peut-être. Il ne s’agit pas de perfection, mais de rééquilibrage ».

En route !

Comment venir voir la pièce ? « Je conseillerai de venir en l’état. Celui qui connaît bien l’œuvre de Péguy va découvrir un bel éclairage sur la vie de l’homme. Ça va mettre du relief dans ses écrits. Celui qui ne connaît pas a tout à découvrir. Cela va lui donner envie d’aller au-delà du personnage» Tout le monde est attendu au tournant, et la pièce se laisse gouter sans broncher. « Tous les curieux qui aiment le théâtre et qui sont intellectuellement ouverts peuvent venir voir cette pièce. » C’est jusque dans la personnalité de l’acteur qu’on découvre l’ambiance « peguyiiste » où nous entraine la pièce. « J’essaye de tenir ma ligne, de ne pas lâcher. Cette pièce j’aime la jouer, le public a l’air heureux. Je ne vois pas pourquoi j’arrêterais cette rencontre» Nous non plus, alors gardez-nous une place !