Parmi les différentes mécaniques de jeux de société, ceux basés sur la coopération ont le vent en poupe. Leur but : faire collaborer les joueurs pour l’emporter. Vecteurs de solidarité, ils sont aussi parfois sujets de conflictualité. On a demandé à deux habitués des jeux « coop », Florent Toscano et Nicolas Bestard, de nous éclairer.

Limite : Le jeu coopératif devient à la mode depuis quelques années. Comment expliquez-vous ce succès ?

Nicolas Bestard : Ces jeux ont été cantonnés à l’éducation alternative et à l’enfance pendant une vingtaine d’années. Ils ont longtemps été diffusés par les associations militant pour la non-violence et la coopération.

L’essor général du jeu et de la vente en ligne ont accéléré le processus d’élargissement et ont facilité l’accès, jusque-là confidentiel, à ces jeux. Des festivals de jeux, comme à Toulouse ou à Cannes, ont créé des « Espace coopération ». Résultat : cela a démultiplié la visibilité du segment et permis à des jeux coopératifs toujours plus créatifs et passionnants de remporter des prix. La demande a augmenté ce qui a eu pour effet de stimuler l’intérêt des éditeurs et des boutiques.

Florent Toscano : Il y a toujours eu des jeux coopératifs mais de façon très anecdotique. Et ça a longtemps été des jeux qui comportent un important « effet leader » (un joueur dit aux autres ce qu’ils doivent faire). Depuis quelques années, des jeux à communication limitée émergent et forcent les joueurs à penser autrement en faisant preuve d’une réelle intelligence collective. Cette nouvelle forme de jeu, par le défi et la stimulation qu’elle propose, est séduisante pour le joueur, et donc, elle fonctionne. En tant que joueurs, on est toujours en quête de nouvelles sensations !

Justement, peut-on éviter que ces jeux censés être « coopératifs » et donc communautaires, ne soient victimes de « l’effet leader » et donc qu’une partie des joueurs dirige les autres ?

Florent Toscano : Complètement ! C’est même là toute la magie et l’importance du design du jeu, car c’est à mon sens un biais à éviter absolument ! Il y a une telle connexion quand on se sent tous dépendant les uns des autres. L’« effet leader » est souvent évité quand le jeu est basé sur une communication contrainte entre les joueurs et quand le jeu et son évolution durant la partie représentent le médium entre les joueurs.

Nicolas Bestard : L’effet leader est une résultante du fonctionnement du groupe, dans un jeu comme dans n’importe quel collectif lié à la vie sociale. Il annihile le plaisir, et privilégie généralement l’efficacité sur le jeu et le processus de coopération. Quand j’entends accuser les jeux coopératifs de le favoriser, cela me donne très envie d’interroger le fonctionnement du système et les rôles des joueurs dans leurs interactions. Comment sont prises les décisions ? Qui parle ? Comment les compétences sont intégrées ? Comment émerge ce leader, et qu’est-ce que cela nous dit de nous et de nos rapports ? La coopération, comme tout processus, a des freins et des leviers. Si un « effet leader » est présent, il est possible et confortable d’incriminer le jeu… mais c’est bien les questions du pouvoir et de la capacité à construire de manière horizontale qui se posent ! Trouver des pistes de solution dans le jeu et se former à la non-directivité sont des clefs d’un fonctionnement plus démocratique, émancipateur… et agréable pour tous. […]

Illustration de Camille Patureau pour Limite

L’entretien dont est tiré cet extrait est à retrouver dans le dossier central du 21ème numéro de Limite, la première revue d’écologie intégrale. L’essayer, c’est l’adopter !

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