Nés dans un milieu qu’ils décrivent eux-mêmes comme « bourgeois » ou « de droite », nous avons rencontré quelques dissidents qui ont décidé de « briser le moule ». Non pas pour rompre en tant que tel, mais pour approfondir certains sujets comme l’écologie ou la justice sociale, trop souvent des angles morts de leur culture d’origine.

Illustration d’Alexandre Forget

Avec 2 % de pratiquants hebdomadaires, les catholiques français sont devenus une minorité. Comme l’a montré le politiste Yann Raison du Cleuziou, le visage de l’Église dépend désormais de ceux qui restent et qui sont le mieux parvenus à transmettre la foi. Or, rien ne prouve que la spiritualité soit la cause exclusive de ce relatif succès. Il suffit de regarder le profil des familles que l’on croise encore à la messe.


Il est relativement homogène. Une bourgeoisie « classique » qui a l’obsession de la transmission, certes… mais tout autant de son patrimoine économique ou de son statut social que de son ancrage spirituel. Comme le note le politiste, « ils cherchent le quartier et la paroisse où ils se retrouveront entre pairs, n’hésitent pas à créer des écoles hors-contrat pour esquiver la mixité et la « tiédeur » des écoles catholiques sous-contrat, choisissent le meilleur mouvement scout pour trier les fréquentations de leurs enfants, etc. Ces stratégies guidées par le souci de la transmission contribuent à un phénomène de fermeture sociale de ce groupe qui fonctionne comme un milieu de famille caractérisé par un haut niveau d’endogamie ».

Au fur et à mesure qu’il devient minoritaire, le catholicisme s’identifie donc toujours plus à une classe sociale. Mais ce n’est pas tout. Lors de la dernière élection présidentielle, le vote en faveur de Marine Le Pen a atteint un score inédit dans les rangs des pratiquants. Humiliés par le mépris affiché par le gouvernement Hollande à l’égard des Manifs pour tous, frustrés par la défaite de François Fillon, bien des jeunes catholiques attendent d’Eric Zemmour qu’il les venge du « politiquement correct ». Gentrification et droitisation, telles semblent être les deux dynamiques qui contribuent à faire du catholicisme un particularisme revanchard.

Dans ce contexte, pas étonnant que certains paroissiens étouffent. Au secours, de l’air, du souffle ! Comme l’écrit encore Yann Raison : « Il est intéressant d’observer comment, du milieu des conservateurs, se détachent de nouvelles gauches catholiques (sans forcément être de gauche). La fidélité au pape François, le refus d’une foi instrumentalisée en frontière ou le désir de s’émanciper des compromissions de leur milieu avec le libéralisme économique les repoussent, par éthique de conviction, à distance de l’univers qui fut leur matrice. »

Avortement, famille, mariage. Chez Constance, le malaise est venu des convictions les plus fondamentales qui lui ont été inculquées. Cette jeune femme de 35 ans, ingénieure dans une grande entreprise publique, raconte avoir grandi dans une famille « très classique de droite conservatrice ». C’est la trop grande focalisation sur des sujets dits de « société » au détriment d’autres combats comme « celui de défendre des étrangers dans la détresse » qui l’a conduite à prendre ses distances. Dans le « milieu », la chose est connue : la défense de la vie humaine, de la conception à la mort naturelle, ne se négocie pas.

Cette intransigeance masque bien des compromissions. Thibault rejoint le point de vue de Constance : c’est « l’hypocrisie dans le discours des catholiques » et, précise-t-il, « pas dans celui de l’église », qui l’a poussé à s’éloigner de son milieu d’origine. C’est le décalage entre les convictions et les actions qui a motivé la rupture. Thibault cite « ces pères de famille catholiques qui acceptent des postes à la direction de grandes entreprises dont le but est de faire le maximum de profit au mépris du plus pauvre », ou d’autres qui sont « dans une logique belliqueuse nationaliste ». Ou encore ceux qui, « à l’extrême-droite défendent la peine de mort tout en étant en totale opposition à l’IVG puisqu’une vie est sacrée ». Ces contradictions sont les premières fissures dans leur sentiment d’appartenance à la droite.

L’homogénéité d’un milieu contribue aussi à son rejet culturel : « Je refuse que le fait d’être catholique détermine la façon dont je m’habille, pour qui je vote et où j’habite », explique Héloïse, jeune femme de 27 ans. Dans les « maisons de famille », les conversations deviennent tendues : « La droite décomplexée, c’est plus de xénophobie, de machisme et de climatoscepticisme. Franchement, je trouve que mes cousins deviennent bêtes depuis qu’ils lisent Zemmour », témoigne Jean, enseignant.

La suite de cette enquête est à lire dans le 20ème numéro de la Revue Limite. Si vous appréciez notre revue, abonnez-vous ! C’est le meilleur moyen de nous soutenir.