« Tout le bonheur des hommes est dans de petites vallées ». Le Mucem de Marseille consacre une exposition à l’écrivain Jean Giono. Sa jeunesse provençale et son expérience de la guerre ont nourri dans son œuvre un rapport mystique à la nature.

Dès les premiers pas, le visiteur est plongé dans la pénombre d’un corridor où résonnent les paroles d’adieu de poilus partant au front. Voilà le décor planté, la première guerre mondiale comme genèse de toute l’œuvre de Jean Giono. Le romancier est né au son des mitrailleuses, parmi les gueules cassées. Son pacifisme intégral, son rapport à la nature se sont forgés dans les tranchées de la Somme et sur les flancs du mont Kemmel où il sera mobilisé à vingt ans. Verdun comme premier acte d’un siècle nihiliste que ni la civilisation européenne ni la société capitaliste n’ont réussi à conjurer. Marqué dans sa chair par la violence qui emportera son meilleur ami, il se posera dès lors en défenseur acharné « de la paix et de la vie », jusqu’à l’aveuglement sous l’Occupation.

L’homme face à la nature

L’ambition de l’exposition est d’aller au-delà de l’image du Giono provençal qui lui valut tant d’incompréhension après la Seconde guerre mondiale. Son pacifisme comme sa célébration du monde rural furent une aubaine pour Vichy. Vite caricaturé en écrivain du folklore paysan, Giono servit malgré lui la propagande collaborationniste. Emmanuelle Lambert, la commissaire de l’exposition, entend ainsi « dissiper le malentendu provençal ». On découvre alors un Giono d’ombre et de lumière. Obsédé par le mal et la violence, il cherche à les exorciser par la nature et le pacifisme. A la noirceur de la guerre répondra toujours la clarté des paysages de Provence.

Le Giono de l’après-guerre sera celui de la trilogie de Pan, une ode à la paysannerie du sud explorant le rapport de l’homme à la nature, dans le tragique comme dans le merveilleux.

Son premier roman, Colline, forgeant son succès, reste d’une actualité brûlante. Les hommes, maitres et possesseurs de la nature, sont rattrapés par la violence sourde des éléments. Un cycle purificateur après un saccage ordonné : le puit se tarit, la fillette tombe malade, la colline brûle. Face à la nature qui frappe, la superstition, disparue jusqu’alors dans le désenchantement du monde, réapparait. S’il faut bien trouver un bouc émissaire, la rédemption n’est possible que dans une harmonie retrouvée.

Les « vraies richesses » des paysans

Sa défense d’un monde paysan vient de son expérience d’une mort à grande échelle. Giono a pressenti la généralisation d’une technique de destruction à l’ensemble de la société. La guerre de 1914 sonne comme un échec de la civilisation industrielle et une perte de ce qu’il appelait les « vraies richesses », dont les paysans sont désormais les derniers dépositaires. Il se rêve alors en « professeur d’espérance », prônant un retour à la terre et un rejet du profit.

Pour Giono, les paysans sont un rempart à la technique, à son travail morcelé, sa production de masse. Face à la modernité artificielle, ils sont des artisans de paix et de pauvreté. L’enfant de Manosque rassemblera régulièrement entre 1935 et 1939 jeunes et paysans sur le plateau de Contadour pour initier les premiers à la vie paysanne et permettre aux seconds de transmettre. Une littérature bucolique peut vite devenir révolutionnaire lorsqu’elle tombe entre les mains de jeunes paysans du Larzac…

« Vis naturellement ; et, puisque dans la société moderne on le considère comme une folie, installe la société qui le trouvera logique. Il ne faut plus qu’une petite poussée de tes mains pour qu’elle soit ». Les vraies richesses (1942)

« Giono », au Mucem (Marseille), jusqu’au 17 février.

Pour aller plus loin :

– Emmanuelle Lambert, Giono, furioso, Stock, 2019

– Édouard Schaelchli, Jean Giono, pour une révolution à hauteur d’hommes, Le passager clandestin, 2013