Et après ?

Il sera sans doute remplacé par une figure insignifiante, qui expédiera les affaires courantes : l’écologie, tant qu’elle n’entrave pas le profit du moindre centime. L’écologie telle qu’on l’aime : celle qui ne remet pas en cause la richesse et la consommation. Celle qui n’impose pas à quiconque de changer quoi que ce soit de sérieux.

C’était couru d’avance. Qu’attendre d’un gouvernement dont le président ne connaît que le sens économique au mot écosystème ? Il y a déjà bien des années qu’il n’y a plus, en France, de politique écologique, si tant est qu’il y en ait eu un jour. Quelque forme qu’ait pu prendre l’exigence citoyenne d’une civilisation plus respectueuse de « l’environnement », « la planète », elle n’a jamais pris les proportions d’une véritable priorité pour un gouvernement français. Pas un seul, ni de gauche, ni de droite, ne s’est donné les moyens, jamais, de rendre notre mode de vie sérieusement compatible avec ce que la planète peut supporter. La réponse était sans doute toujours trop effrayante.

Nous sommes à la croisée des chemins.

« Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation de pesticides ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à nous mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols ? La réponse est non », a déploré Nicolas Hulot.

Le danger est là devant nous, et il reste tenu pour rien, tourné en dérision même. « Il y a tellement plus important », vient de déclarer Nicolas Sarkozy.

Il y a tellement plus important que pendant que nous tenons ces discours, dans les pays beaucoup plus pauvres que nous, on plante des arbres à tour de bras. Il y a tellement plus important que la Chine a dû adopter en urgence des mesures antipollution du genre de celles qu’on appelle ici « dictature verte ». Le déni écologique est un luxe de nantis.

Bref, côté politique, Hulot ou pas, rien ne bouge : l’écologie est à peine plus prise au sérieux que le fleurissement des ronds-points. Nous avons beau rabâcher « y’a une prise de conscience », si celle-ci existe, elle n’a aucune traduction politique. Pire : les partis écologistes sont passés d’un parti à 6 % à trois partis à 2 %, ou peu s’en faut.

Soit l’écologie est importante pour nous, citoyens, pour bien plus de 6 % d’entre nous, et nous avons échoué à le prouver à nos élus.

Soit elle ne l’est pas et nous ne pouvons plus différer notre conversion : selon la formule consacrée, dramatiquement vraie, la maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous sommes prêts à tout accepter pour résoudre une crise financière – parce que son mécanisme nous paraît peut-être plus familier, plus explicite. N’est-ce pas pourtant le même ? La parabole du « jour du dépassement » nous l’explicite : nous creusons chaque année une dette vis-à-vis des ressources naturelles et de la résilience des écosystèmes. Cette dette-là, pas un banquier ne peut l’effacer.

Les décisions prises dans ce pays depuis vingt ans montrent que nos décideurs nationaux persistent à regarder ailleurs.

Et s’il était temps de ne plus rien attendre des politiques, en matière d’écologie, en l’état ? Puisque ces sphères-là ne l’intègrent pas d’elles-mêmes comme une priorité, n’attendons plus passivement qu’elles le fassent. Mobilisons-nous, individuellement par nos choix de vie, collectivement en associations, en conseil de quartier ou tous autres espaces ouverts au citoyen ; manifestons, montrons que nous agissons et que nous voulons, maintenant, que les hauts échelons politiques agissent pour ce qui est leur part. Les chasseurs obtiennent ce qu’ils veulent ? Mais c’est bien normal : ils sont un million en ordre serré. Ils savent se montrer unis pour formuler leurs exigences : un monde où leur activité est possible. Cela nous déplaît ? Soyons plus nombreux, mais aussi unis, et surtout déterminés. Pourquoi des élus feraient-ils une priorité de ce que nous n’exprimons même pas clairement comme telle ? Si nous déplorons la mainmise de « lobbies », soyons le plus fort d’entre eux, parce que le plus nombreux, le plus ferme, celui qui lutte pour sa vie : le lobby des humains qui exigent une Terre habitable, aujourd’hui et demain.

Il est temps de parachever la « prise de conscience » : une société, une civilisation, un mode de vie compatible avec ce que la planète peut soutenir, cela ne s’obtient pas tout seul. Cela n’est même pas l’affaire d’adroits techniciens, spécialistes au sein d’associations super-professionnalisées de « l’agri-environnement », des « pratiques biodiversité et bâti », ou autres bureaux d’étude HQE. L’ampleur de la crise, c’est-à-dire l’ampleur démesurée de notre ponction va exiger des revirements radicaux. Pas pires, sans doute pas pires que ce dont nous menace la grande méchante dette quand elle reviendra se venger : loin de l’austérité financière, la sobriété écologique peut être heureuse, les retours d’expérience en abondent. C’est la bonne nouvelle qui doit nous guider. La vie, comment dire ? éco-compatible – ce n’est pas très joli, mais je n’ai pas mieux – est encore largement à inventer en tant que projet politique. Il nous la faut, tout de suite. Exigeons-la maintenant, de ces messieurs et de nous-mêmes.