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« Je t’assure, c’est à droite ! – Non, à gauche ! – Que dit le GPS ? » Les dispositifs technologiques ne se contentent pas de pallier nos failles : ils nous promettent l’infaillibilité. Ils augmentent sans doute notre pouvoir sur le monde, mais limitent notre puissance d’agir par nous-mêmes. Ils démultiplient nos potentialités mais étouffent, en les remplaçant, nos capacités propres. Tout ce que l’on gagne en temps, on le perd en autonomie. À trop nous laisser prendre aux mirages technologiques, nous devenons leurs dupes, moins outillés qu’assistés, moins partie prenante que dépendants, incapables de vivre sans, et condamnés à nous adapter, à prix d’or, à chaque innovation.
Parce qu’il était critique du « monde fantôme », un monde jalonné d’écrans relayant aussi bien l’explosion d’une bombe atomique qu’une course de bobsleigh, le philosophe Günther Anders fut mis à l’écart des colloques universitaires. Un jour, il se mit en tête d’expliquer à ses collègues que la technologie contemporaine, à la différence des techniques traditionnelles, s’imposait « unilatéralement » à son utilisateur, le rendant peu à peu « obsolète ». Que c’était la technologie qui devenait libre et nous qui l’étions moins. Blasphème ! On le traita de « réactionnaire ». Car voilà, vouloir freiner la machine, c’est aussi vouloir en finir avec une certaine idée du progrès.
C’était au temps d’Hiroshima. Depuis, on a pu justifier l’existence de n’importe quelle invention, aussi néfaste soit-elle, en persuadant l’opinion que la méfiance à l’égard du « progrès technologique » était de l’ordre du sabotage. Le « monde fantôme » – celui où Bora Bora vous est plus familier que votre voisine ou que le bosquet d’à côté – semble faire l’unanimité. Prenez la campagne électorale : qui pointe l’artificialisation de nos modes de vies comme l’une des menaces auxquelles nous faisons face ? Un candidat soi-disant conservateur s’extasie devant les gadgets du salon technologique de Las Vegas, tandis qu’un autre, qui se dit antiproductiviste, s’expose en hologramme… La technique et le marché sont les deux idoles du temps. Le veau d’or 3.0 a des couilles en silicone.
« Ce n’est pas la technique qui nous asservit, mais le sacré transféré à la technique », disait Ellul. Les technocritiques ne diabolisent pas la technologie, ils la désacralisent. Ils ne la méprisent pas (nous y recourons tous), ils cherchent à la maîtriser. Et à la soumettre non pas à leurs caprices, mais à leurs besoins, quitte à repenser les modes de vie qu’elle a refaçonnés à son image et à sa ressemblance. Car la technique n’est pas neutre, et sous prétexte de nous émanciper de la nature, c’est à sa propre logique, de plastique ou de béton, qu’elle nous aliène.
Ce que nous voulons dire aux bidouilleurs posthumanistes, à leurs investisseurs, et à tous ceux qui collaborent au grand remplacement de l’humain par le cyborg, c’est que nous n’avons pas besoin d’eux. Nous nous passerons de leurs robots pour mener une vie bonne. Nous saurons être heureux, quoique imparfaits, hors de leur paradis factice. Tant que nous serons nombreux à préférer les vaisseaux sanguins aux circuits imprimés, la naissance au clonage et le ciel aux écrans, le meilleur des mondes restera un cauchemar sans lendemain. Et l’amour, l’espérance, la liberté continueront de battre dans nos cœurs de chair.
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Bonsoir,
Merci pour votre revue et le partage de ses valeurs. Un commentaire sur l’invasion technologique dans notre quotidien.
Je souhaitais vous faire part de mon désarroi devant un comportement, plutôt urbain, qui fleurit à largeurs de trottoirs : des zombies les yeux fixes, fonçant devant eux au mieux, à grande vitesse et sans prendre garde aux éléments de leur environnement (autres humains, voitures, éléments de code de la route type feux rouges, etc.), au pire le cou courbé à 45° les yeux rivés sur leur smartphone, fonçant à grande vitesse et sans prendre garde aux éléments de leur environnement (etc, cf parenthèse précédente), deux fils blancs pendouillant des oreilles, ou le casque vissé auxdites oreilles. Cette communauté de gens qui se disent connectés, mais sont en fait totalement déconnectés de leur environnement proche, totalement autistes à la petite chose qui peut arriver dans la rue, le simple fait de partager un espace commun. Cette volonté délibérée de s’affranchir de tout besoin / devoir de partager des codes sociaux communs dans la rue est terriblement déroutante, et donne lieu à des situation de le cynisme est désarmant : vu, une zombie tapotant frénétiquement un sms sur son téléphone et tombant à la renverse sur le sac de couchage d’un SDF dont elle n’avait même pas appréhendé l’existence avant de le percuter, un exemple parmi tant d’autres de ce qui n’est même pas une incivilité, juste un comportement totalement asocial du fait de l’isolement entre les forceps des oreillettes et la fascination addictive du smartphone. Comment en-est on arrivés là ? Qu’en pensez-vous ? D’autres voix s’interrogent-elles sur les fondements anthropologiques et conséquences pour nos communautés sur un plan un peu plus théorique ? Au delà d’une interrogation, une alarme. Il n’est nul besoin de publier ce commentaire bien entendu, mais si d’aucuns partageaient mon souhait de lancer une alerte / enquête / réflexion sur le sujet, je serai ravie.
Bien à vous
Elisabeth
Argh ! même Aleteia s’y met avec le ‘chatbot’ d’évangélisation ePaul (sic)… Au secours ! Qu’Hadjadj leur écrive !
https://fr.aleteia.org/ePaul/
Et encore un ! L’ambiguïté de l’article est bizarre : l’auteur du robot-pasteur semble ne vouloir rien d’autre que « créer un débat »… et non dénoncer quoi que ce soit ?
http://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/Un-robotpasteur-pour-reflechir-a-lavenir-2017-06-01-1200851892
Et pendant qu’on ‘réfléchit à l’avenir’, le futur (robotisé) s’impose, comme dirait F. Hadjadj…