Nous traversons une période de bouleversement accéléré de nos conditions d’existence, qu’elles soient sociales, politiques ou environnementales. Face à ce délitement général, l’écologie peut-elle créer de nouveaux liens ? Éléments de discernement pour réorienter nos vies.

Forme politique et ancrage écologique

Je voudrais commencer cette réflexion par trois remarques préliminaires. Premièrement, après des années de travail sur la question, je dois avouer que je me méfie de plus en plus du mot « écologie ». Le mot est beau, mais la notion est en fait extrêmement plastique. Elle reçoit de nombreuses significations : science des interactions, protection de certaines espèces vivantes, promotion d’une agriculture sans pesticides, limitation de l’empreinte carbone, protection des peuples indigènes, militance dans un parti politique, participation à un projet alternatif comme un éco-hameau. à chaque fois, on touche des choses extrêmement différentes. Et si, par « écologie », on entend protection de la nature, on voit que la protection de la nature n’a rien en elle-même pour nous unifier. Au contraire, la nature nous divise parce qu’elle n’a pas en elle-même la force de nous aider à guérir les divisions qui sont en nous-mêmes. Il n’est qu’à voir les combats autour de la réintroduction des loups et des ours dans nos contrées, ou de la fiscalité écologique…

Si, par « écologie », on entend protection de la nature, on voit que la protection de la nature n’a rien en elle-même pour nous unifier. Au contraire, la nature nous divise parce qu’elle n’a pas en elle-même la force de nous aider à guérir les divisions qui sont en nous-mêmes.

Deuxièmement, la dégradation de la terre, ce qu’on désigne par le concept d’anthropocène, bouleverse en profondeur les équilibres humains, politiques et collectifs.Nos conditions matérielles d’existence, que nous avions oubliées : le sol, l’air, l’eau, la terre, deviennent mouvantes et instables. Or, quand les hommes ne savent plus très bien où ils habitent, ils sont désorientés politiquement. Ce qu’on appelle la « nature » n’est en rien un décor inerte sur lequel se joue ensuite la destinée des sociétés humaines. Il y a un lien entre la forme que nous donnons à la vie commune, et notre ancrage terrestre concret. Il y a des lieux dans le monde où la vie collective n’est plus possible à cause de désastres industriels. Je pense à des petits villages près de Vinh au Vietnam où une pollution massive a déséquilibré, détruit même, la vie commune. Des gens qui vivent depuis des siècles de la pêche dans un écosystème stable doivent brutalement s’exiler : il y a un lien insécable entre la forme politique et la situation écologique.

Ce qu’on appelle la « nature » n’est en rien un décor inerte sur lequel se joue ensuite la destinée des sociétés humaines.

Troisièmement, à mes yeux, l’existence et la solidité d’une société humaine sont toujours suspendues à la liberté et à la puissance d’agir des êtres. Certes, nous sommes tous nés dans des familles, plus ou moins solides, qui nous préexistaient. Mais toutes ces communautés fondamentales qui nous portent, des familles aux nations en passant par les cités, se fortifient ou au contraire se délitent selon que la liberté humaine se consacre ou se dérobe à la vie commune. Les sociétés ne sont pas des choses. Ce sont toujours des croisements, des rencontres de libertés et de puissances d’agir, et elles peuvent se faire ou se défaire. La question est donc la suivante : face à cette société liquide étudiée par Zygmunt Baumann, dans laquelle il n’y a plus de liens durables, face aussi aux différentes dévastations de la terre, comment les libertés humaines peuvent-elles se remobiliser, refonder des collectifs qui soient plus dignes de la condition humaine ?

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