Emmanuel Roux, auteur de Michéa, l’inactuel (éd. Le bord de l’eau) sort un essai où il décortique la notion de populisme et lui donne une ascendance bienheureuse en le rattachant au populisme civique. Extraits.

Mais le populisme ? Après tout, ce qu’on appelle aujourd’hui « populisme » a peu à voir avec le populisme historique. Appeler populisme un mouvement politique clanique né du rassemblement il y a près de quatre décennies de toutes les composantes fanées voire moribondes de l’extrême-droite vichyste, OAS, intégriste, néopaïenne, antisémite, etc., en dit long sur la dévastation de notre vie civile. L’époque a en effet ceci de troublé que ce qui était historiquement valorisé comme un authentique mouvement populaire (on pense au populisme russe de la fin du XIXe siècle et au populisme américain) est donc devenu dans le discours de l’élite une figure repoussoir qui doit nous rallier définitivement et sans condition au pouvoir de la pensée unique. Tout serait donc à jeter dans le populisme ? N’y a-t-il pas un populisme « vertueux » ou « civique » ? Il en va du populisme comme du cholestérol, il y a un « bon » et un « mauvais ».

J’ai la faiblesse de croire encore à la possibilité d’un populisme social et civique qui se sortirait avec vigueur de la dialectique du consensus libéral et du populisme identitaire.

Qu’est-ce que serait ce « populisme » civique ? On pourrait le définir à partir de quatre caractéristiques :

  • Son objectif principal, voire unique, est de construire une société décente, une société où règne ce que Orwell appelle la common decency, une société de la non-domination, de l’entraide, de la civilité, des coopérations, une société dans laquelle en dépit de leurs différences économiques les classes sociales se vivent parties prenantes d’une même communauté civique.
  • Pour cela, il est obsédé par l’édification des médiations qui permettent le contrôle politique d’élites spontanément portées à l’oligarchie. La forme spontanée et plébéienne, comme ce fut le cas avec les gilets jaunes, est appelée à se dépasser dans une forme institutionnalisée, comme dans une démocratie républicaine dotée de contre-pouvoirs — et à ce titre, le Parlement ne prendra le chemin d’un réel contre-pouvoir que lorsque l’élection reflétera la vraie pluralité sociale de la société (les dernières élections législatives ont fait avancer la cause de la parité mais régresser celle de la mixité sociale) et que notre régime constitutionnel évolue vers un vrai régime présidentiel.
  • Le populisme civique assume la conflictualité politique, mais ne cherche jamais à exacerber le conflit. Il s’efforce au contraire de le réguler, l’institutionnaliser, le civiliser. L’épée doit toujours rester au fourreau ! Le populisme civique est fondamentalement non-violent.
  • Enfin, il s’applique à réunir les médiations civiles et sociales du « vivre humain ». Il fait sien le critère orwellien de jugement par excellence : ceci, cela me rend-il plus humain ou moins humain ? Plus humain : capable de construire une société qui développe les vertus du vivre ensemble : la justice, l’égalité, la générosité, etc. Il faut toujours en revenir à Montherlant dans la Lettre d’un père à son fils : « Les vertus que vous cultiverez par-dessus tout sont le courage, le civisme, la fierté, la droiture, le mépris, le désintéressement, la politesse, la reconnaissance, et, d’une façon générale, tout ce qu’on entend par le mot de générosité. ». Ce sont les seules vertus qui permettent de construire collectivement un monde humain commun, sur notre territoire, et au-delà.

Ceci est une esquisse, pour sortir de la dialectique à deux termes. Orwell avait appelé cela un « socialisme démocratique » et l’avait développé en 1941 dans un texte étincelant Le lion et la licorne, socialisme et génie anglais. Pour ma part, j’avoue ma difficulté à le nommer tant cela paraît démonétisé, tant les mots et les choses semblent désaccordés.