Alors que la grève a encouragé les mobilités douces et partagées, la question de l’auto-stop mérite une réflexion. De moins en moins populaire à l’heure du covoiturage de masse, il reste une solution pour de petits trajets, en dehors des métropoles. Des petites communes et des associations veulent l’encourager, en lui octroyant des aires dédiées et en le sécurisant.

La grève de la SNCF et de la RATP aura, dit-on, été l’occasion d’encourager (voire forcer) les usagers à pratiquer la mobilité active. Et après coup, l’habitude ayant été prise, ils seraient plus susceptibles d’adopter une mobilité multimodale. Plus sobrement, ceux qui n’ont pas pu prendre le train, le RER ou le métro se sont rabattus sur le vélo ou la marche et l’on peut supposer qu’y trouvant un attrait ils fassent désormais une partie de leur trajet quotidien ainsi.

On aura aussi beaucoup entendu parler du covoiturage pour ceux qui se trouvent en périphérie. On a cependant peu parlé de l’auto-stop, même si BFMTV a trouvé quelques personnes à interviewer sur le sujet. En soi, rien de surprenant, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle nous avaient prévenus : la galère est un très bon terreau à l’entraide.[1]

L’auto-stop n’a plus la cote

Chaque fois que l’envie m’a pris de faire du stop, j’ai eu le loisir d’observer des heures durant les véhicules défiler, parfois même au point d’abandonner. Même s’il paraît difficile de savoir qui est premier de l’œuf ou de la poule, j’en suis venu à croire que le peu d’autostoppeurs s’explique par le manque de voitures qui s’arrêtent. J’aurais de plus tendance à penser que la situation s’aggrave avec l’augmentation de l’individualisme.

Toujours est-il que si l’auto-stop a la côte sur le plan littéraire (des blogs de baroudeurs au dernier prix Fémina[2]) il n’a en réalité pas bonne presse auprès des conducteurs comme des potentiels passagers. Il pourrait néanmoins séduire à nouveau. Non pour son côté vintage même si l’on ne peut qu’être charmé par la photo en noir et blanc d’Anna Karina et de son pouce levé qui a été choisie pour affiche des César 2020 – Heureux celui qui tomberait d’ailleurs sur une personne de son acabit ! Mais plutôt parce qu’il répondrait à un besoin actuel.

Affiche de l’édition 2020 de la cérémonie des César. Académie des César

Une alternative au règne marchand

L’avenir de l’auto-stop semble s’écrire du côté des petits trajets. D’abord parce que pour les voyages, le covoiturage est déjà bien organisé, avec l’avantage de faire faire des économies au passager comme au conducteur. Ensuite parce que l’auto-stop suppose la gratuité, pas tant au sens d’absence de coût qu’au sens de don. Or la place naturelle du don n’est autre que le petit geste du quotidien. L’auto-stop des petits trajets peut ainsi devenir une respiration, voire un contre-modèle dans une société où, comme le faisait remarquer François-Xavier Bellamy (avec l’exemple de La Poste qui facture désormais la visite des facteurs aux personnes âgées), la logique marchande grignote tout.[3]

Des associations et des collectivités en sont visiblement convaincues puisqu’elles cherchent à favoriser la pratique de l’auto-stop en l’encadrant. Qu’elles veuillent restaurer une image d’Epinal de la solidarité villageoise ou qu’elles soient tout simplement pragmatiques face à l’abandon des périphéries par les pouvoirs publics, c’est bien la solidarité qu’elles recherchent. Rézo Pouce (déjà implanté dans 11 des 13 régions) l’inscrit par exemple dans les valeurs qu’elle entend défendre.

L’exigence sécuritaire

Les applications mobiles créées et les panneaux installés aux points stratégiques sont un coup de pouce bienvenu. Mais le principal frein généralement avancé est la crainte de l’inconnu. Que ce soit Rézo Pouce, la Route Pouce Pouce de Blanquefort (Gironde) ou Les Cabanes à pouce de Plougastel (Finistère), ces initiatives cherchent toutes à garantir la sécurité par le contrôle : inscription en mairie, signature de charte, identification par un macaron ou un brassard…

Pourquoi une telle complexité est-elle nécessaire alors que ceux qui ont pratiqué l’auto-stop avec des inconnus retiennent généralement la convivialité du moment et l’originalité des rencontres ? La réponse se trouve sûrement du côté de Rézo Séniors, initiative de Rézo Pouce et de la Communauté de Communes du Plateau Picard, qui met en relation les séniors qui ne peuvent plus conduire avec des conducteurs solidaires. Plus que la confiance, c’est le lien qu’il faut recréer. Plus que contre l’individualisme, c’est contre l’isolement qu’il faut lutter. Tant mieux alors si associations et collectivités jouent les entremetteuses.


[1] L’entraide : l’autre loi de la jungle, Les Liens qui libèrent, 2017.

[2] Sylvain Prudhomme, Par les routes, Collection L’arbalète/Gallimard, 2019. L’un des personnages se nomme tout simplement « L’autostoppeur ».

[3] Demeure : Pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel, Grasset, coll. « essai français », 2018.