Alors que certains sportifs font aujourd’hui étalage de leurs œuvres de bienfaisance pour soigner leur communication, le champion de cyclisme Gino Bartali – dit « Gino le pieux » – avait au contraire passé sa vie à refuser de parler de son rôle pendant la seconde guerre mondiale : sauveur de juifs.

Illustration de Bendo

Sous l’occupation allemande de l’Italie, Julia Baquis, une petite fille juive, se cache avec sa famille chez deux sœurs en Toscane. Un soir, un cycliste se présente pour remettre un paquet aux Baquis. La propriétaire des lieux craint d’avoir affaire à un collaborateur, prétend ne jamais avoir entendu parler de cette famille, et l’homme s’en va.

Cet homme n’était autre que Gino Bartali, l’un des plus grands cyclistes de tous les temps, qui entre fin 1943 et fin 1944, alors au sommet de sa popularité, fut messager clandestin pour le sauvetage des juifs d’Italie. Cette histoire ne sera connue que soixante-dix ans plus tard, en juillet 2013, lors du témoignage de Julia Baquis au mémorial de Yad Vashem, lorsque Bartali recevra le titre de « juste parmi les nations », treize ans après sa mort.

Un engagement tenu secret

C’est que l’homme était plutôt taiseux, en particulier lorsqu’il s’agissait de parler de son rôle pendant la guerre. Des rumeurs couraient, des bribes d’informations circulaient, mais lui-même ne pipait mot sur cette période. À son épouse, alors qu’il partait en vélo remettre des messages pour la résistance, il faisait croire à « une longue sortie d’entraînement». Avec ses enfants, plus tard, il se montrait évasif, se contentant d’évoquer des missions secrètes effectuées à vélo, sans s’attarder sur leur contenu.

Pourtant, Gino Bartali effectua au total une quarantaine d’aller-retours entre Florence et Assise, sur des routes surveillées par la Wehr macht. Sa mission ? Récupérer des documents nécessaires à la réalisation de faux papiers et d’en assurer la redistribution, afin de permettre aux juifs recherchés de passer en pays libres. Il accomplissait évidemment son devoir à vélo, sous couvert d’entraînement, en transportant les documents dissimulés dans le cadre de son engin, au niveau de la selle ou de la potence du guidon.

Plusieurs fois, le champion faillit se faire attraper par l’occupant allemand lors d’un contrôle, pendant l’une de ses missions. Mais il fut souvent sauvé par sa notoriété : il se trouvait toujours un soldat passionné de cyclisme, trop heureux de rencontrer le champion et de lui demander un autographe. Il passa cependant tout près de se faire prendre en juillet 1944, lorsqu’une milice collaborationniste italienne l’arrêta, ayant intercepté une lettre à son attention en provenance du Vatican. Les fascistes savaient que Gino Bartali était très religieux – il était surnommé « Gino le pieux » – et se méfiaient du réseau catholique résistant. Il fut interrogé de manière musclée, puis relâché.

L’antifasciste catholique

Si Bartali est entré en résistance à l’automne 1943, c’est en raison de son engagement catholique. En effet, c’est au sein de la Delasem (Délégation d’Aide aux émigrants juifs) – réseau catholique orchestré clandestinement par l’archevêque de Florence, le cardinal Elia Dalla Costa – qu’il s’engagea à la demande de ce dernier. L’archevêque le surnommait d’ailleurs le « facteur de la liberté ». […]

Vous venez de lire l’extrait d’un article publié dans le numéro 23 de la revue Limite. Ce numéro est à commander dans toutes les bonnes librairies ou en ligne sur le site de notre éditeur. Si vous aimez Limite, qu’attendez-vous pour vous abonner ?