Le football, vache à lait de l’économie de marché. On s’était habitué à voir le ballon rond escorté de son lot de bandeaux publicitaires, de produits dérivés et de transfert de joueurs. Et si le sportif devenait un produit « artistique » issu des meilleurs ateliers, une marchandise « de luxe » concoctée en éprouvette ? Arnaud Bouthéon, spécialiste des relations entre sport, politique et religion et auteur de Comme un athlète de Dieu. Manifeste sportif et chrétien, nous entraîne dans les laboratoires du sport de demain. Un petit avant-goût du meilleur des mondes…

Messieurs les associés,

La grande messe internationale du football se prépare et son contenu est surpuissant. Une mine d’or. Pour les diffuseurs, les annonceurs et les bookmakers. Le spectacle est unique.

Au-delà de toutes frontières, le spectateur citoyen est convoqué et il afflue, tel un fervent fidèle. Le football est une nouvelle religion mondiale, je vous l’affirme, pour une audience orgiaque. Ses contempteurs le déplorent mais c’est un fait. Le sport est une puissance marketing qui étend son marché et fait communier les civilisations à son catéchisme. Il y déploie son règne sur les âmes. Les politiques l’ont compris et embrayent. Cela occupe le peuple, qui se consume en dévotion.

Mes équipes ont étudié le phénomène de près. Le sport post-moderne est un savant mélange de quatre principes puissants. Ils sont comme mixés dans un shaker pour produire une potion énergisante qui s’offre au monde entier. Il convoque les ressorts identitaires, l’émotion populaire, la vitesse technique et l’incertitude du jeu. Et cela fonctionne car les indicateurs sont en hausse constante et régulière, sur tous les continents. Toujours plus d’audience, de primes, de droits, de sponsors, de produits dérivés, d’objets connectés, de culture sportswear

Il est encore temps d’y investir. En mobilisant la ressource financière qu’il faut.… Nous l’avons fait pour le nucléaire, pour les grands changements sociétaux. L’opinion au début renâcle mais à terme, les consciences se ramollissent et capitulent. A coup d’humanitaire et de bons sentiments, on achète tout. Sur ce terrain, je crois que posséder un média, un club de football, une agence de droits télévisés sont même des options dépassées…

Permettez-moi un aparté. Car au fond, à quoi sert le sport et son représentant le plus puissant, le football ? En somme, quel est le but du but ? Le pape philosophe Jean-Paul II, dénommé l’athlète de Dieu, parlait d’un signe des temps et d’une attente pour notre humanité. Le produit fini du sport, disait-il en connaisseur, c’est le geste juste. C’est une capacité à créer un mouvement, en mobilisant sa personne – corps, esprit et âme – et offrir en direct « live » une improvisation artistique, laquelle prend sens, dans un contexte normé par des règles. En somme, le sport c’est de l’humain. Le sport révèle l’humanité et fait vibrer l’humanité.

Le produit fini du sport, (…) c’est le geste juste. C’est une capacité à créer un mouvement, en mobilisant sa personne – corps, esprit et âme – et offrir en direct « live » une improvisation artistique, laquelle prend sens, dans un contexte normé par des règles.

Messieurs, nous allons donc puiser à la source du sport et serons les producteurs du carburant de ce spectacle.  Aujourd’hui, la matière première du show, c’est le joueur. Mais il est faillible, il vieillit, il souffle et parfois même, le virtuose se blesse. Nous allons produire les meilleurs d’entre les meilleurs. Rappelons-nous que l’herbe verte de la compétition est avant tout un processus implacable de sélection de champions. Pour paraphraser Emmanuel Berl : le terrain, lui, ne ment pas. Mais aujourd’hui, nous atteignons un plafond car certains records ne sont même plus battus. Messieurs, nous allons réduire ce risque d’ennui, nous allons maintenir la qualité du casting.

Nous allons garantir le sport durable.

Le système a besoin de main d’œuvre artistique. La meilleure qui soit. C’est la pâte humaine, la cellule embryonnaire. C’est la matière première du processus industriel. Par l’entraînement et la formation, nous façonnerons un produit athlétique qui atteindra sa complétude par l’évaluation de la compétition. Désormais, la fin de carrière du champion ne signifiera plus l’extinction de sa lignée et donc de son génie. Son patrimoine génétique lui a offert – pardonnez-moi l’expression – un « châssis et un début de motorisation », c’est en quelque sorte « sa nature ». Notre plus-value sera l’entraînement (et ses vertus) qui complètera l’ouvrage par ce qu’on peut appeler « la carrosserie et la motorisation aboutie ». Ce sera notre apport culturel. Car messieurs, notre combat est aussi culturel et même civilisationnel. Je serai plus explicite.

Le système a besoin de main d’œuvre artistique. La meilleure qui soit. C’est la pâte humaine, la cellule embryonnaire. C’est la matière première du processus industriel.

Tel joueur de sexe masculin a été ciblé par cinq fédérations sportives à l’âge de dix ans pour recevoir le titre mondial à vingt ans ? Nous allons commencer par collecter la sève des champions. Les grands athlètes ont déjà leur semence à l’abri. Pour réparer, disent-ils car on ne sait jamais. Nous allons les y aider et encourager la démarche. Voici pour les athlètes de sexe masculin. Telle championne féminine dispose d’une agilité kinesthésique hors norme qui l’a conduite dès la quinzième année vers les podiums olympiques ? Nous allons l’aider à congeler ses ovocytes. Puis, Messieurs, nous organiserons la rencontre. De grands esprits ont compris avant tout le monde qu’il n’est de richesse que d’hommes. Imaginez les rejetons de Bolt, Neymar, Ronaldo et Riner, avec Manaudou, Kournikova, Vonn et Felix. Nous embrasserons le noble métier d’éleveur pour le bienfait de toute l’humanité. Certes, nous assumerons la part inévitable de déchet. Car notre rêve de progrès est résilient.

Je vous rassure ; nous avons intégré les aspects transactionnels dans notre business model. Nous autres, entrepreneurs-éleveurs, verseront une redevance au donneur. Nous assurerons les risques, tel un producteur de spectacle ou un éditeur de livres. Car le sport est un art. Nous commencerons par un fixe et une part variable, indexée sur les tests de performances.  Tout au long du processus, les tests génétiques permettront de trier, d’évaluer et d’indexer la rémunération des donneurs, en résolvant ainsi la question épineuse de la retraite sportive. Si l’entourage n’a pas été prévenant, le joueur se retrouve souvent démuni à la quarantaine, le corps en miette, l’esprit épuisé par le silence et l’ennui. Nous allons offrir une rente aux vieux champions en les intéressant aux performances de leur lignée.

Notre offre sera présente sur un catalogue exceptionnel. Nous pourrons vendre « sur plan », avant la naissance ou accepter des transactions au gré des tests qui jalonneront la formation de l’élève. Les stocks de surnuméraires ne seront pas abandonnés mais élevés dans le secret.

Rappelons-nous cependant que le protocole doit être discret, en attendant que le législateur ne se décide. Nous trouverons des complexes sportifs – resorts de luxe et d’élite – pour couver nos champions jusqu’à l’éclosion. Il faut voir loin. Les formateurs et le corps médical seront dévoués et nos produits ne manqueront ni d’affection ni de moyens. Les ronchons nous parlerons toujours des Lebensborn, ces prétendues usines à bébés allemandes. Nous échapperons à la disqualification. Nos élèves ne seront pas des guerriers mais des athlètes pour égailler l’humanité. Dans la conception, nous ne violerons ni ne brutaliserons, pas de jouissance ni traumatisme. Le tube d’une éprouvette neutralise toutes les émotions.

Nous n’allons même pas augmenter l’homme, nous allons seulement créer les meilleures lignées.

Nous ne produirons pas de l’élevage de masse mais du qualitatif. En somme, ce n’est pas du prêt-à-porter mais du « sur mesure ». Les championnats sportifs s’étoffent à la surface du globe. Le football prend pied en Chine et aux États-Unis. Une kyrielle de compétitions viendra absorber notre offre. Les parieurs en ligne et les médias sont en quête de contenus et de supports. Les assureurs sont même prêts à suivre en cas de blessure ou de croisement défectueux. Nous n’allons même pas augmenter l’homme, nous allons seulement créer les meilleures lignées.

Messieurs, chers associés. Je terminerai par une confidence. Dans son célèbre essai de psychologie sportive, le baron Pierre de Coubertin, inventeur du sport moderne, chantre d’un sport frugal et amateur, avait évoqué ce concept pour mieux le combattre de toutes ses forces. Il citait en 1913 un ouvrage d’éducation physique qui s’appelait L’Art de créer un pur-sang humain. Messieurs, nous allons faire coup-double. Nous enterrerons définitivement le baron et ses lubies. Nous prouverons aux yeux du monde que nous sommes des artistes pour l’éternité.

Arnaud Bouthéon