TRIBUNE : Après le fiasco du projet de fusion des deux clubs de rugby rivaux franciliens (Stade français et Racing 92), Arnaud Boutheon, cofondateur de Sens Commun et amoureux du rugby, nous fait part de son indignation.

Les férus de l’ovalie ont pensé à une plaisanterie de troisième mi-temps, une galéjade éthylique de printemps. Ce mardi, les amoureux du rugby ont appris la bonne blague. Elle est douteuse. Bien grasse et foireuse. Comme une chandelle qui dévisse, un appui qui se dérobe. Ils ont osé le projet de fusion absorption du Stade Français, par son meilleur ennemi des derbys, le Racing… Deux présidents se seraient accordés pour sceller l’affaire. Deux oligarques. L’un opulent, l’autre indigent.

La mauvaise fable se déploie au cœur du bois, dans ce lieu même où en 1892, le baron de Coubertin, maître de la psychologie sportive, arbitrait les deux impétrants. Le parc de Bagatelle était un fonds baptismal pour lancer la légende du sport moderne. Du vrai sport, monsieur. Pas celui des margoulins, des couleurs de bétons, ou des prédateurs. Coubertin aimait le sport d’amateurs. Celui de ceux qui aiment et se souviennent. Avec goût, avec frugalité, avec proximité. Lucide, il dénonçait la démesure mercantile et déjà, la tentation du pur-sang humain.

Le sport c’est de l’identité et de l’émotion, messieurs. Oui, de l’identité. C’est peut-être réac mais c’est tripal. On s’en fout, c’est incarné. Les vieux, ils en vibrent et nous aussi.  Le passé, l’honneur, le maillot, les rites. On assume.

Parlons-en de l’humanité, de l’épaisseur des sentiments, du carburant des combattants. Cette fraternité d’hommes et d’armes, elle se construit sur le pré, au gré des gnons et des tampons. Vous le savez ça. Les maillots se défendent et se tâchent. Le prix de la légende. On ne veut pas être oublié. Le sport c’est de l’identité et de l’émotion, messieurs. Oui, de l’identité. C’est peut-être réac mais c’est tripal. On s’en fout, c’est incarné. Les vieux, ils en vibrent et nous aussi.  Le passé, l’honneur, le maillot, les rites. On assume. Les gladiateurs se mouillent comme les anciens. Ils défendent la tunique. Fierté. Les fidèles refont le match, ils vibrent. Ils vivent. Les codes chevaleresques les unissent aux belliqueux athlètes. Des devises, des blasons. Une communion d’émotion, quand tout est donné. Une verticalité. Dans la chute ou la gloire, qu’importe. C’est au gré des récits que la mémoire se densifie. Que la mémoire s’incarne.

Le stade est un sanctuaire, le maillot un reliquaire. Pendant plusieurs années, une marée rose a égaillé Paris. Une blonde. Une fête. Comme le bon Pape Jean, le génial Max Guazzini aimait tellement les traditions qu’il en semait. Durables et épicées. Créateur de bonheur. On y croquait. Avec ferveur, les familles déployaient leurs étendards, clamaient une appartenance. Aujourd’hui comme dans notre société anémiée et fracturée, on continue à raboter les identités. Au milieu des prés, on pensait presque y échapper. On y croyait, à cette zone franche, loin de la connerie libertaire ou tout s’achète et se jette. Hier, deux comptables nous ont parlé de fusion. Dans le Littré de mon papé, c’est un processus chimique qui permet de passer de la phase solide à la phase liquide…. Le solide c’est le pilier. Il ne rompt pas. Il porte les arches et les absides. Il plonge profond et s’élève haut.

Messieurs, dans ces temps tristes et lisses, on s’appuie sur ce qui résiste. Seuls les totalitaires fracassent la mémoire. Cette mémoire qui dérange car elle limite. Elle vous rend pourtant héritier. Putain, décentrez-vous. Réveillez-vous, ils veulent déraciner nos piliers pour du blé. En faire une réalité sociale gluante, flottante, et demain, vaporeuse. Le stade français n’est pas en produit en gondole, avec une date de péremption. Chez nous, on ne marchandise pas les corps. Nos convictions ne sont pas liquides. Notre aventure est d’abord une âme, elle semble vous échapper. Notre club est une réalité organique et générationnelle qui inclue et qui élit. Messieurs, la testo est montée et la solidarité s’est manifestée. La ligne, on l’a verrouillée. Les béliers ont retrouvé la mêlée. Vous avez flanché. Peut-être, pour un temps seulement. Nous nous en réjouissons.

Arnaud Bouthéon