Limiter la vitesse sur les routes secondaires à 80 km/h? Outre l’intérêt écologique d’une telle mesure, prôner un certain ralentissement de la vitesse maximalisée n’est pas pour déplaire aux partisans de la décroissance. Mais ralentir ne suffit pas, encore faut-il réfléchir…

Bien sûr, la récente décision gouvernementale de ramener la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires peut aller dans le bon sens : il faudra à l’issue d’un délai probatoire ( un an a priori) tirer les conclusions qui s’imposent, et ne pas prolonger l’expérience si elle a pour seul effet que l’on ronge encore plus son frein en conduisant. Il y a bien une corrélation entre moindre vitesse et moindre accidentologie : les pays qui roulent moins vite figurent dans le peloton de tête des pays peu accidentogènes, sans que la relation soit terme à terme : ainsi en Allemagne, où on roule à 100 km/h, et en Angleterre, excellente élève, à 97 km/h ( 60 miles), mais 64 km/h pour les poids très lourds. De fait les six pays pays de l’Union européenne qui ont fixé la vitesse à 80 km/h font partie des dix pays les moins dangereux.

C’est un cas concret d’arbitrage entre sécurité et liberté.

Il faut rendre hommage à la logique utilitariste d’une telle mesure ; il est probable qu’en allant moins vite on fasse moins de dégâts. Peut-on aller plus loin ? Jusqu’où acceptera-t-on alors d’abaisser la vitesse autorisée ? On gage qu’à 15km/h les dégâts seraient encore bien moindres… Il y a là les termes d’un marchandage entre vitesse et danger qu’on ne peut trancher qu’en décidant de ce qui est le plus important, l’utilité et le plaisir d’un côté, la sécurité de l’autre. C’est un cas concret d’arbitrage entre sécurité et liberté – ici l’égalité n’est pas en cause, quoique la différence entre cylindrées ait de notables effets en cas de choc. Comme l’ont remarqué certains sur ce débat et sur d’autres, vivre ne va pas sans quelques risques ; reste à savoir où passe la limite entre risque permettant une certaine qualité de vie et risque mortifère.

Mais ce que pointent aussi les quelques chiffres cités, c’est que tout ceci doit masquer d’autres variables : pourquoi l’Allemagne et surtout l’Angleterre (56 tués par million d’habitants contre 87 pour la France, chiffres accablants pour nous) font-elles mieux en roulant presque à 100km/h sur les routes secondaires à une voie ? Les infrastructures peuvent être en cause, mais le réseau routier français ne semble guère déficient, et la France s’est hérissée de rond-points contre-accidentogènes en peu d’années. Il faut alors envisager le dernier facteur en jeu, outre l’état des véhicules : le psychisme de ceux qui les conduisent.

Il faut alors envisager le dernier facteur en jeu, outre l’état des véhicules : le psychisme de ceux qui les conduisent.

Les images se pressent ici, souvenirs d’automobilistes peu fair-play, conduite maladroite, ou simple réputation d’un citoyen ayant la tête près du béret… Notons que la latinité n’es pas seule en cause puisque l’Espagne s’en sort plutôt bien. Pour ne pas retomber dans le french bashing dont l’élégance est d’être souvent national, regardons du coté des solutions. Quand un conducteur conduit mal, trop vite, sans attention autre qu’à sa libido – c’est pour deux raisons probables : une frénésie-inertie intérieure, donnée libidinale donc, et l’absence de sur-moi ou, si l’on préfère, de souci de l’autre. Mais il s’ajoute une troisième donnée : le manque d’imagination, qui lui permettrait d’ajouter un peu de virtuel au réél perçu. Un ballon qui va jaillir ici, un chien débouler là, un enfant qui va tomber au bord du trottoir… On pourra toujours doter la voie publique de ralentisseurs et autres chicanes, si le conducteur n’anticipe pas plus loin que le visible immédiat, on ne réussira pas ; on finira alors à 15 à l’heure, pour parer à toute éventualité.

C’est donc bien le citoyen-conducteur qu’il faut éduquer, en lui apprenant à voir ce qu’il ne voit pas (encore). On pourrait pour cela s’aider de diapos comme celles du code de la route, mais associées cette fois-ci à la question : que peut-il se passer que je n’anticipe pas ? Comment pourrais-je être surpris ? Bref, apprendre à douter, même (et surtout) au volant d’une voiture. Un travail d’éducation psychique et cognitive ; autrement dit, apprendre à se méfier des apparences !


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