Suite à l’« appel des coquelicots », des centaines de rassemblements devant les mairies se tiendront demain vendredi 5 octobre dans toute la France. Le manifeste Nous voulons des coquelicots du journaliste indépendant spécialiste de l’environnement Fabrice Nicolino, demandant l’interdiction immédiate de tous les pesticides de synthèse, a été publié ce 12 septembre par la maison d’édition Les liens qui libèrent. Il a été écrit avec un militant écologiste, François Veillerette. Ce manifeste, associé à une pétition, est formulé comme un cri : « Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent comme évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares », y lit-on. En un peu plus de quinze jours, la pétition, relayée par Charlie Hebdo – Fabrice Nicolino est un ancien collaborateur de Charlie Hebdo, un rescapé de l’attentat de janvier 2015 – a été signée par 250 000 personnes. Signe d’une importante mobilisation citoyenne ? Cela peut-il faire bouger les lignes ? Interview.

Pensez-vous qu’une mobilisation citoyenne puisse entraîner celle des politiques ? On connaît la façon dont l’interdiction du glyphosate a été rejetée par l’Assemblée le 14 septembre dernier.

Je n’ai plus confiance en les politiques. Tous, toutes couleurs confondues, ont toujours soutenu les pesticides. Même si des anciens ministres ont signé l’appel, ils ne seront jamais mis en avant. Je leur demande de signer en tant que citoyen français. Le moment est venu de rassembler ceux qui ont conscience que le monde des pesticides est une industrie de mort. Une industrie qui a échappé au contrôle des humains. Jusqu’ici, à chaque fois qu’un type de pesticide a été interdit, il a été remplacé par un autre, tout aussi voire plus nocif que le précédent. Maintenant, il faut tous les interdire sans exception..  On sait par les dernières études du CNRS et du Muséum national d’Histoire naturelle que le tiers des oiseaux a disparu et que leur rythme de disparition s’accélère. Tout disparaît à une vitesse fulgurante. C’est un drame à dimension biblique, une apocalypse.

250 000 signatures en plus de quinze jours. Cela vous étonne ?

C’est un merveilleux résultat car nous ne sommes qu’une douzaine de bénévoles qui habitons du Lot-et-Garonne à Genève en passant par la Bretagne. On n’a pas de sièges, de sponsors, on n’a pas de budget. On n’a rien. Nous sommes une poignée de gens. Mais nous sommes encore loin du compte car nous nous lançons dans une course de fond. Une course de deux ans dont l’objectif final est de récolter 5 millions de signatures. Dès le 5 octobre prochain, nous organisons entre 500 et 600  rassemblements devant les mairies de France tous les premiers vendredi de chaque mois et ce, jusqu’en octobre 2020.

C’est un véritable mouvement de résistance que vous souhaitez organiser…

Oui. C’est un mouvement de résistance à l’ordre industriel du monde. Nous parions sur le fait que la société française reste vivante. Et j’y crois. Car notre mouvement national est déjà très enraciné. En 25 ans, la France a déjà connu une révolution silencieuse de ses pratiques alimentaire. Des millions de personnes ont ainsi déjà tourné le dos aux pesticides, les sachant mauvais. Ce sont eux qui peuvent constituer ces 5 millions de signataires.

Tout le monde parle du lobby des pesticides mais on en sait peu de choses. Dans votre manifeste publié aux Liens qui libèrent vous retracez son histoire. Pourquoi est-il si ancré en France ?

Les pesticides sont apparus en 1945. On avait faim, on claquait des dents, c’était la fin de la guerre. On n’arrivait pas à nourrir tout le monde. Les cultures de pommes de terre étaient sans cesse détruites par les ravageurs de récolte. C’est alors que des laboratoires de chimie ont fait des prodiges en réalisant de nouveaux produits chimiques. Ces derniers se sont révélés efficaces pour lutter contre les ravageurs de récolte. On avait trouvé la solution pour remédier à la faim. A l’époque, un des produits phares, c’était le DDT – maintenant interdit – dont les propriétés insecticides avaient été découvertes en 1939. Il éradiquait les poux et les parasites. Il sauva in extremis les rescapés des camps de la mort porteurs du typhus, en 1945. Ces derniers ont été sauvés par la poudre de DDT qu’on leur a appliqué sur tout le corps, éradiquant tout sur son passage. C’était exceptionnel. C‘est pour cette raison que pendant de nombreuses années, on a cru de bonne foi que les pesticides étaient une chance pour la France. Le lobby créé en 1950 par l’ingénieur agronome Fernand Willaume gravita autour d’un journal appelé Phytoma – un journal qui existe encore. Tous les grands agronomes français de l’époque ont fréquenté ce lobby, organisant le déferlement de pesticides sur la France. Personne ne voyait le mal jusqu’à la publication en 1962 d’un livre choc, Printemps silencieux, d’une biologiste américaine, Rachel Carson. Elle révélait que les pesticides sont des poisons pour tous les êtres vivants et les humains en particulier. Son ouvrage avait été relu par de sérieux comités scientifiques.

En 1962, la publication de ce livre, Printemps silencieux, ne semble pas avoir enclenché de prise de conscience… Pourquoi ?

Parce qu’alors, l’industrie des pesticides générait déjà des millions de chiffre d’affaires. Plutôt que d’interdire les produits chimiques dans les exploitations agricoles, on a préféré jouer la carte de la désinformation et du mensonge. Pendant des décennies, Monsanto a défendu le DDT jusqu’à ce qu’il soit interdit. Tout de suite, ils l’ont remplacé par des produits tout aussi nocifs comme le glyphosate. Ils ont organisé des campagnes pour faire croire que ce dernier n’était pas plus nocif qu’un verre de jus d’orange. Ces techniques de désinformation étaient inspirées de celles du lobbyiste Marcel Valtat, l’homme qui, en 1970, organisait des campagnes de désinformation sur l’amiante. Ce qui s’est passé, c’est du mensonge industriel organisé.

Pensez-vous donc qu’une grande mobilisation citoyenne puisse venir à bout  de ce lobby ?

J’ai la certitude intérieure que regrouper des millions de personne arrivera à faire disparaître des millions de pesticides en France. Je veux voir la société française se lever. Elle est démocratique et elle a le droit d’imposer ses lois et sa façon de vivre.  La démocratie peut gagner la partie face aux actionnaires de l’agrochimie.