Je reste sceptique sur la notion d’ « islamisation du radicalisme » assez à la mode et qui a été d’abord mise en avant par Olivier Roy, pour qui les attentats ne sont pas imputables à l’islamisme radical, mais à la radicalité islamisée : « Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islamisme, mais de l’islamisation de la radicalité. » [1] Les djihadistes français sont-ils des radicaux islamisés ? Non. Ce sont des néo-islamisés.

Parler d’islamisation de la radicalité plutôt que de radicalisation de l’islam, c’est un amalgame dangereux qui va criminaliser voire faire passer pour quasi terroriste toute pensée et toute action un tant soit peu radicales. Les zadistes seront-ils bientôt traités comme des djihadistes ? Ne se trouvera-t-il pas quelques anti-écologistes primaires ou autre de Valeurs Actuelles pour les appeler les « zihadistes » comme il s’en est trouvé pour appeler les écolos même pas radicaux les « Khmers Verts » afin les faire passer pour d’affreux génocidaires en puissance ?

C’est un amalgame dangereux qui va criminaliser voire faire passer pour quasi terroriste toute pensée et toute action un tant soit peu radicales

Je n’ai d’ailleurs guère lu chez Olivier Roy autre chose que des affirmations générales sans réelles illustrations sociologiques statistiques. Y a-t-il parmi les djihadistes français une proportion suffisante (majoritaire ou du moins largement représentative) de personnes ayant eu un engagement politique radical pré-islamiste (des anarchistes, des gauchistes, des fascistes, etc.) et qui sont passées à l’islamisme ? Je pose la question. Si oui, on peut parler comme Roy d’islamisation des radicaux. Si non, il faut continuer à parler de radicalisation des musulmans et des islamistes ou de néo-islamisation radicale.

Si l’on suit ce que dit Roy, il s’agirait donc d’une islamisation de la radicalisation. Il ne s’agirait donc pas d’une islamisation des radicaux mais d’une islamisation de l’expression du nihilisme. Mais même là, je ne trouve pas que les djihadistes français soient rabattables sur les anciens maoïstes, gauchistes, etc., français ou européens, même terroristes (RAF, Action Directe, etc.), dans le grand sac fourre-tout du nihilisme qui ne veut plus rien dire à force d’être élargi… Et qui permet de mettre dans le même sac les vrais radicaux (ceux qui se disent tels : anars, écolos, néoluddite, etc.) et les djihadistes et autres extrémistes.

Quel rapport entre l’étudiant trotskyste des années 70 et le geek  provincial qui joue en réseau à Call of Duty de nos années 2010 ?

Mais je ne suis au fond d’accord avec aucune de ces deux expressions : ni islamisation des radicaux, ni radicalisation des musulmans. En réalité, c’est précisément le concept même de radicalisation que je conteste, et surtout le fait de rabattre à travers lui les terroristes gauchistes des années 70 sur les djihadistes des années 2010. Est-ce que ce sont les mêmes données de terrain sociologiques et psychologiques ? Je ne crois vraiment pas. Quel rapport entre l’étudiant trotskyste des années 70 et le geek  provincial qui joue en réseau à Call of Duty de nos années 2010 ? Olivier Roy se trompe : parler même d’islamisation de la radicalisation – au sens où la radicalisation passerait aujourd’hui par l’islam comme elle passait hier par le gauchisme ou le tiers-mondisme et avant-hier par le fascisme ou le communisme – ne veut rien dire. Radicalisation de qui et de quoi d’abord ? Radicalisation contre quoi et pour quoi ? Par peur d’un amalgame « islamo-islamiste », ne passe-t-on pas à un autre amalgame, celui de la « radicalité » ? Black Bloc et Daesh, même combat ? ZAD et Djihad,  kif-kif ? Tarnac et Mossoul, nids de terroristes ? La « radicalisation » tout court, c’est un peu comme la « recrudescence » dans La Cité de la Peur : « Odile ! Je vous avais dit que devant la recrudescence il ne fallait pas laisser votre sac à terre ! Regardez, il est vide ! » Ce concept de « radicalisation », c’est une façon de psychopathologiser toute réaction critique radicale – éventuellement violente – envers le système.

Ce concept de « radicalisation », c’est une façon de psychopathologiser toute réaction critique radicale – éventuellement violente – envers le système

Face à cette reductio ad rebellionem, revendiquons au contraire sans faiblir notre radicalité comme Alexis Escudero du collectif grenoblois Pièces et Main d’Oeuvre (« Je ne suis pas extrémiste : je suis radical. ») ou comme l’anonyme de LundiMatin :

« Bref, il est peut-être temps de revendiquer haut et fort nos radicalités et d’en faire l’éloge, car elles ne valent qu’en vertu de ce dont elles ne sont pas l’essence, mais une caractéristique : la recherche des conditions de la justice et de la liberté collective. Il faudrait alors rappeler que, par son étymologie latine « radix », l’adjectif « radical » se dit de tout ce qui prétend ne pas s’en tenir aux feuillages superficiels, mais revendique de remonter à la racine épaisse et cachée. Autant dire que toute pensée conséquente est radicale. »[2]

Radicale et profonde – comme toute écologie digne de ce nom.

 


[1] Olivier Roy : « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste » LE MONDE | 24.11.2015 http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/24/le-djihadisme-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste_4815992_3232.html#x995txXGjwvJ8bxP.99

[2] « Radicalités. Une réponse à Olivier Roy » LundiMatin # 38 01.12.2015 https://lundi.am/Radicalites

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