Après cinq ans de travaux et neuf milliards d’euros investis, François Hollande inaugurait hier la Ligne à Grande Vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Au-delà des questions écologiques et financières que suscite un tel projet, celui-ci interroge du point de vue des travailleurs détachés. Promoteur de la « clause Molière », qui  vise à lutter contre cette forme de dumping social, Vincent You (Adjoint au Maire d’Angoulême et candidat aux législatives) réagit à l’inauguration de la ligne ferroviaire.

En quoi ce type de chantier est-il emblématique du dispositif des travailleurs détachés ?

C’est très simple: on met en avant une lecture keynésienne de l’économie en soulignant que l’argent public va créer de l’emploi donc de l’activité et de la croissance. Mais on ne regarde jamais plus loin! Le problème est que le ressort est cassé. Les entreprises cassent les prix pour gagner le marché. A ce jeu, gagneront toujours ceux qui embauchent de la main d’œuvre bon marché avec le travail détaché. La règle européenne en vigueur prévoit que l’on paye les charges sociales au pays d’origine. Nous sommes donc en plein dans le dumping social: moins il y a de protection sociale, plus on gagne! Drôle de pente que celle où nous entraîne l’UE…

Sur la partie charentaise du chantier de LGV, c’est 310 emplois qui sont partis pour des travailleurs détachés pour la période entre 2012 et 2015. L’équivalent d’une belle PME qui aurait pu fonctionner pendant 4 années… c’est un immense gâchis. Je ne peux que comprendre la colère de ceux qui trouvent que nos dirigeants nationaux restent volontairement aveugles ou « sans cran » pour reprendre les mots de François Ruffin.

Vous êtes à l’origine de la « clause Molière ». De quoi s’agit-il ?

La responsabilité d’un maître d’ouvrage est d’assurer la sécurité des ouvriers. J’ai donc choisi d’ajouter une clause évidente qui consiste à imposer que tous les ouvriers soient en mesure de comprendre les règles de sécurité du chantier sur lequel ils travaillent. Soit ils sont francophones, soit l’employeur doit leur payer un interprète. Ce faisant, je fais disparaitre l’intérêt économique de leur recrutement… c’est donc une mesure de relocalisation de l’emploi ou plutôt un refus de laisser partir des emplois non-délocalisables.

En dépit du rejet de l’amendement à la loi El Khomri relatif à la « clause Molière », comment les collectivités locales peuvent-elles se saisir de cette clause pour lutter contre les travailleurs détachés ?

Il suffit d’ajouter cette clause dans le cahier des charges du marché. Il y a sur tout chantier de travaux un Coordonnateur Sécurité et Protection de la Santé : il a désormais une mission complémentaire qui consiste à vérifier qu’il est bien compris.

Sur le fond, c’est une négation du sens du travail humain. La globalisation actuelle fonctionne avec un cache-sexe sur les conditions de travail. On achète à bas coûts sans vouloir regarder le travailleur asiatique. Maintenant avec le travail détaché, on utilise l’argent public pour payer ceux qui ne cotisent pas en France

Quand on y pense, cela veut juste dire que l’on ouvre les yeux et que l’on décide de stopper une dérive sans limite… mais surtout, on accepte d’en payer le prix! La bonne nouvelle c’est que de nombreuses collectivités ont choisi d’appliquer cette méthode dont aujourd’hui cinq régions sur treize. Dans certaines régions le choix a été unanime. Il reste qu’il faut toujours passer outre ceux qui crient en disant « ça sent mauvais » ou en parlant de discrimination. Il y a un vrai glissement, comme si la discrimination n’était pas d’abord d’accepter qu’il y ait deux catégories de travailleurs: ceux qui comprennent les risques et les autres qui permettent de faire chuter les prix…

73% des français se disaient opposés aux travailleurs détachés (le dernier sondage date de 2013). Pourtant, les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat, l’une à gauche, l’autre à droite) ont rejeté votre clause Molière. Pourquoi cette opposition ? Par peur d’affronter les institutions européennes ou par idéologie ?

Le blocage à Paris lors du vote du Sénat résulte de petites querelles de chapelles entre UDI et LR (l’Assemblée n’en a pas débattu pur cause de 49-3). Le blocage à Bruxelles est plus idéologique comme s’il s’agissait de remettre en cause la liberté de circulation. Mais entre circuler et travailler sur un chantier, il y a un gouffre! Pour l’instant on maintient une règle qui méprise les ouvriers avec cette idée folle que les travailleurs doivent bouger au sein d’un vaste marché fluide sans même pouvoir parler à leurs collègues.

Sur le fond, c’est une négation du sens du travail humain. La globalisation actuelle fonctionne avec un cache-sexe sur les conditions de travail. On achète à bas coûts sans vouloir regarder le travailleur asiatique. Maintenant avec le travail détaché, on utilise l’argent public pour payer ceux qui ne cotisent pas en France…cela ne va pas pouvoir durer longtemps ! C’est l’un des enjeux de 2017: espérons que les solutions de terrain puissent rentrer dans nos lois !