Notre chroniqueuse Marianne Durano a assisté hier au colloque « Femmes et Environnement », organisé au Grand Palais à Paris dans le cadre de la COP21. Immersion dans cette immense foire internationale où le meilleur côtoie le pire.

DES ECRANS CONTRE LE RECHAUFFEMENT

Après 3 fouilles et 2 contrôles d’identité, je suis entrée. Mardi 8 décembre, le hall du Grand Palais fourmille de stands, journalistes, hommes d’affaires et hôtesses d’acceuil, tous mobilisés pour le climat à l’occasion de la COP21. Avant de me rendre à l’auditorium, où se tient la conférence « Femmes et Environnement » organisée par la fondation RAJA, je traverse, intriguée, la « pépinière d’initiatives » qui me sépare de mon colloque. Dès l’entrée, on me tend des tonnes de journaux gratuits, du très libéral quotidien Les Echos au mensuel Terraeco dans lequel on trouve pourtant une critique des financements privés de la COP21. On me donne aussi un badge en plastique, comme à tous les participants. Sous l’éclairage artificiel, des écrans géants diffusent de toutes parts des messages pour « la planète », à la recherche d’innovations innovantes pour lutter contre le réchauffement climatique. On me propose de devenir citoyenne de l’Antarctique afin de militer « pour un monde sans frontières ». On me fait entrer sous un cône de simili-verdure dans lequel un écran diffuse en boucle l’image d’une Terre qui vire progressivement du bleu au rouge.

Sceptique, je préfère fouiner du côté des stands Nissan, Renault, EDF, Michelin, entre lesquels j’aperçois quelques ateliers de recyclerie et autres initiatives citoyennes. C’est alors qu’une caméra me surprend : des représentants de Sanofi, leader mondial de l’industrie pharmaceutique, me demandant comment je perçois le rôle de leur entreprise dans la lutte pour le climat. Devant mon incompréhension manifeste, on m’explique que Sanofi vend des vaccins contre des maladies propagées par des moustiques dont la prolifération est dûe au dérèglement climatique. CQFD : Sanofi lutte donc contre le dérèglement climatique. Craignant sans doute que je n’aie pas bien compris, on me propose alors de jouer sur une tablette à un memory interactif m’expliquant le rôle crucial de Sanofi dans la préservation de la planète. En face, un écran géant passe en boucle des publicités pour les futures voitures électriques de Nissan. A ceux qui préfèrent des solutions plus immédiates, l’association Maskbook propose même des masques anti-pollution customisés : « Create your mask for COP21 ! ».

LES FEMMES AUX PREMIERES LOGES DU DESASTRE ECOLOGIQUE

Pleinement rassurée sur l’avenir de la planète, j’atteins enfin l’auditorium. La gravité des discours tranche étrangement avec l’ambiance commerciale de l’étage inférieur. J’apprends que les femmes, parce qu’elles représentent 70% des individus vivant sous le seuil de pauvreté, sont les premières victimes des dérèglements climatiques. Alors qu’elles produisent 80% des denrées alimentaires dans le monde et qu’elles effectuent les 2/3 des travaux domestiques, elles possèdent moins de 10% des terres et ont 14 fois plus de chance de mourir en cas de catastrophe climatique. Pourtant, l’article 2 de l’accord en cours de rédaction, qui stipule, entre autres, le droit à l’égalité homme-femme, le droit à l’alimentation, ou encore le droit des peuples autochtones, est encore entre parenthèses.

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’association des femmes Peules autochtones du Tchad, explique qu’en Afrique, ce sont les femmes qui sont chargées de trouver de l’eau, du bois et de la nourriture pour faire vivre leur famille. Elles sont donc les premières victimes de l’appauvrissement des sols et des ressources, et doivent parcourir des distances toujours plus grandes pour trouver de l’eau et du combustible. Pire, la désertification rendant l’agriculure impossible, les hommes émigrent de plus en plus vers les villes, ou à l’étranger, laissant les femmes assurer seules la subsistance de leur famille, mais également des personnes âgées et de la communauté entière, tout en assurant les charges délaissées par les hommes. Faut-il en déduire que l’émigration des hommes signifie l’exploitation des femmes restées au pays ? Je n’ai pas pu poser la question. Elle se dit très déçue par la COP21, où l’on a perdu son temps à se chamailler pour savoir dans quel chapitre mentionner les femmes, alors que la question du genre est un sujet transversal.

Durant toute la conférence, on entendra ce même leitmotiv : les femmes ne sont pas un problème parmi d’autres. Parce que ce sont elles qui gèrent les ménages et les ressources, elles sont la solution au désastre environnemental. Or, plutôt que de s’appuyer sur leurs savoir-faires traditionnels, les occidentaux encravatés préfèrent parler innovations techniques et aides internationales. Et Hindou Oumarou de conclure : « C’est comme les vingt dernières années, les cravates sont là, enfermées dans des salles pour décider de notre futur ». A côté de la révolte de la jeune tchadienne, Marie-Noel Vaeza, directrice des programmes ONU femmes, et Corine Lepage, présidente internationale de WECF, se distinguent par le vide total de leurs interventions et leur optimisme artificiel, Marie-Noel Vaeza osant même affirmer sans ironie qu’elle mise tout sur Ségolène Royal…

SOLUTIONS TRADITIONNELLES VS PATRIARCAT TECHNICIEN

La deuxième table ronde est nettement plus percutante, notamment grâce à la présence de Vandana Shiva, fondatrice de l’association Navdanya, qui lutte en Inde pour l’autonomie des agricultrices contre Monsanto, et de Fatou Ndoye, coordinatrice du pôle agroalimentaire de l’association Enda Graf Sahel au Sénégal. Vandana Shiva commence par regretter que l’on ait si peu parlé de biodiversité pendant cette COP, alors même que la question des semences et leur privatisation est au cœur des injustices écologiques. En s’appropriant les semences, les grandes firmes OGM mènent une réelle révolution chimique qui nie le droit des agriculteurs, en majorité des agricultrices, à cultiver leurs propres semences, alors même que celles-ci sont plus nutritives et plus résilientes.

La question des semences, déplore Vandana Shiva, n’a été traitée durant cette COP qu’à travers le vocabulaire de l’innovation technique et de l’ingénierie, niant explicitement le savoir traditionnel des autochtones, en semblant croire que les semences n’avaient jamais existé avant la civilisation occidentale. Une logique patriarcale, qui mise tout sur la technique et la concurrence, postule que la nature et les femmes ne sont pas productives par elles-mêmes. Ce faisant, les femmes comme la nature se révèlent victimes du même état d’esprit occidental, technicien, capitaliste, masculiniste. Vandana Shiva parle de catégories patriarcales « fossilisées » (comme l’énergie fossile, précise-t-elle), parmi lesquelles elle compte les mots « innovation », « performance », « rentabilité ». Et d’en appeler à un renversement de la privatisation du vivant, qui doit être remis entre les mains des femmes. Fatou Ndoye dresse elle aussi un diagnostic sans appel de la situation des femmes africaines, victimes de la dégradation de l’environnement et des ressources, ainsi que de l’émigration masculine. Elle insiste sur toutes les initiatives portées par des femmes au Sénégal : reboisement de la mangrove, activités d’ensemencement, valorisation des connaissances locales.

Voilà l’un des mantras de ce colloque : revaloriser les savoir-faires traditionnels, locaux, portés par des femmes souvent non-diplômées, mais fortes de leur expérience. En bas, les écrans plats continuent pourtant à vendre leurs techniques innovantes, porteuses de croissance et de progrès. Fatou Ndoye, Hindou Oumarou et Vandana Shiva, elles, nous disent que les solutions simples existent déjà, que les femmes les connaissent, qu’il n’y a pas besoin pour cela d’investir des millions dans la recherche, mais seulement de faire confiance aux populations locales. « Les solutions sont là, insiste Vandana Shiva, mais un pouvoir irresponsable et aveugle refuse de les prendre au sérieux ». Ce qui n’empêche pas Philippe Lévêque, directeur général du CARE France, d’asséner tranquillement que le problème, c’est que les femmes sont sous-représentées dans les disciplines techniques convoquées dans les problématiques climatiques. Sans doute pensait-il à autre chose pendant que Vandana Shiva, physicienne nucléaire, expliquait que le problème ne résidait pas dans l’ignorance des femmes, mais dans celle des gouvernements !

LE COURAGE DES FEMMES CONTRE LE POUVOIR DES FIRMES

Bilans et exhortations se succèdent : les femmes du Tiers-monde sont à la fois victimes et solutions. J’attends en vain une analyse plus structurelle des injustices si bien décrites, une mise en accusation des coupables. Mais Nissan, EDF, Suez, Michelin et consorts peuvent dormir tranquille derrières leurs stands à l’étage inférieur, ils ne seront pas inquiétés. On aurait également aimé quelques mots sur la situation de la femme occidentale, qui doit elle aussi faire vivre sa famille dans un milieu urbain qui fait fi de tous les équilibres naturels. En Occident aussi ce sont encore (trop) souvent les femmes qui assurent l’alimentation de leur famille, l’entretien de leur ménage, l’éducation (écoresponsable) des enfants, et sont ainsi au centre de la résistance écologique.

Heureusement, un riche buffet m’attend à la sortie de la conférence, où j’ai pu enfouir ma déception sous une montagne de loukoums, des piles de petits fours et des litres de jus de fruits. Bernadette Sauvaget elle-même, que notre banquet bio avait naguère laissé sur sa faim, aurait été satisfaite. Sous un écran géant éclairé par trois immenses spots verts, Hindou Oumarou, qui vient de nous raconter comment les Tchadiennes peinaient à trouver du bois mort pour leur foyer, contemple le vaste hall à nos pieds, encombré de politiciens encostumés. Mes sœurs, ne comptez que sur vous pour faire la révolution !