Geoffroy Saillard, jardinier-paysagiste a organisé le premier chantier Limite, consacré à la permaculture. Il a participé à un stage auprès de Christophe de Hody,(un Naturopathe, herbaliste et  botaniste de terrain) autour des plantes sauvages comestibles et médicinales. Il revient dans cet article sur cette expérience très formatrice en pleine immersion dans la nature.

Au cours de son histoire, l’homme a favorisé l’expansion de la nature domestique et son rapport à celle-ci s’en est un peu détourné, au point de devenir un rapport de quasi méfiance. Or, le rapport à la nature n’est pas à chercher dans une modélisation du paysage mais dans l’apprivoisement de celle-ci, en domptant progressivement la peur qu’elle nous renvoie. En d’autres termes, il faut se laisser élever par la nature pour reconnaître ce qui nous échappe et rester humble en vue de toucher sa transcendance. Ceci dit, la nature est tellement spontanée dans sa croissance qu’elle peut en effet terroriser, ou du moins nous effrayer.

Elle effraie lorsqu’elle n’est plus parquée dans les jardins acclimatés et qu’un nombre incalculable de graines en « dormance »peuvent lever à tout moment, situation qui va à l’encontre de notre esprit cartésien. Elle effraie quand elle colonise aussi bien l’espace de la rue que nos campagnes, quand la friche prend le pas sur l’ordonnancement agricole des champs. Enfin, elle peut effrayer quand on nous parle (souvent abusivement) d’espèces « invasives ». Cette nature hors de contrôle n’est pourtant pas un chaos mais un système en interaction, et relève davantage de la coopération que de compétition.

La pensée d’Heidegger sur ce sujet est intéressante pour reconnaître l’altérité de la nature : « La nature n’est ni la même chose que l’homme ni ce qui s’oppose à celui-ci, elle est pour autant dire l’autre de l’homme ; cet autre qui participe à la définition de l’homme sans le résumer entièrement. » Cette vision nous préserve d’une sécession de la nature vis-à-vis de l’hommes , que revendique ce que l’on appelle la deepecology (Arne Naess, 1973), Ce mouvement s’apparente à une idéologie verte sur fond d’antihumanisme militant (JM. Verlinde 2013).

Revenons à nos considérations plus « terre à terre ». En découvrant le travail de Christophe sur le terrain, j’ai mieux compris, dans mon métier de jardinier, l’intérêt d’appliquer un désherbage sélectif. et de revaloriser certaines plantes trop vite déconsidérées qui répondent pourtant à nos besoins nutritifs profonds. Plus fondamentalement, il s’agit de restaurer une proximité immédiate avec les plantes, moins vitrifiée. La distance entre nous et le monde vivant de par son industrialisation aboutit à une insensibilisation, où l’on accepte tout (à titre d’exemple, les gens mangeraient peut-être moins de viande si on leur donnait la possibilité d’aller voir comment cette viande est produite). Indirectement, l’homme a négligé la « nature sauvage » comme source de son alimentation et oublié de nombreux savoirs.

Pendant mon stage de 3 jours chez Christophe de Hody, des questions revenaient régulièrement sur la pollution et la toxicité des plantes. Mais loin de s’en douter, il y a en fait plus de plantes toxiques (parfois mortelles) en pots cultivés sous une véranda ou dans un jardin d’ornement (de type laurier rose, datura, if) que dans un bois. En France, les plantes mortelles se comptent sur les doigts de la main. Mes premières visites avec Christophe m’ont permis de dépasser un cap, de franchir une rivière sans avoir pied… J’ai mangé ma première boulette d’ortie ! C’était d’autant plus surprenant que je suis moi-même un jardinier très sensibilisé aux questions écologiques mais ignorant de la richesse des plantes sauvages. .

Dans l’entretien qui suit, Christophe de Hody va nous emmener sur le terrain pour vous former à cette pratique de cueilleur de plantes sauvages. En proposant des balades afin de mieux connaitre la comestibilité et les vertus médicinales de ces plantes sauvages, il nous invite à vivre cette réconciliation avec la nature.                                                                                                                  

Qu’est-ce qui t’as donné envi de faire le métier que tu fait ? Comment en es-tu arrivé à devenir formateur autour des plantes sauvages ?

Mon père avait une petite ferme disposant d’un grand terrain, je dormais souvent dehors et dans des cabanes. Cette expérience a beaucoup rythmé mon enfance. Quand on me demandait ce que je voulais faire, je répondais simplement : je veux vivre dehors. Après le bac, j’ai vécu une expérience en woofing, j’ai fait beaucoup de rencontres, et en revenant, j’ai suivi une formation en herboristerie puis j’ai intégré, à mon retour en 2005, un BTS aménagement paysager (dans cette formation, ce qui m’intéressait davantage c’était la botanique pure, la biologie, la parasitologie et la reconnaissance des plantes) et j’ai gardé une préférence pour les plantes sauvages. Après cela, je suis allé en naturopathie, tout en gardant une vraie passion pour les plantes médicinales et comestibles, et je continuais à pratiquer seul, sur le terrain, l’étude des plantes sauvages. Ce désir de transmettre la connaissance des plantes pour connaître surtout leur utilité : médicinale, comestibilité et leur place dans un biotope type.

Que penses-tu de Sainte Hildegarde de Bingen ? On perçoit beaucoup de points communs avec ta démarche n’est-ce-pas ?

La vision moderne de la phytothérapie (médecine à base d’extraits de plantes : vient des mots grecs phytos plante et thérapeuo soigner) me parle plus. J’ai du mal à comprendre Sainte Hildegarde comme j’ai du mal à comprendre Rudolph Steiner. Il m’intéresse de lire ces écrits, mais je préfère connaître comment les plantes fonctionnent de façon plus chimique, sur le fonctionnement des molécules.

Comment te définis-tu ? Quelle différence entre les botanistes et herboristes ?

Un botaniste n’est pas un usager, il cherche à connaître les caractères observables d’une plante et ne cherche pas spécifiquement à connaître leurs usages alimentaires et médicinaux. Ensuite, je ne vends pas des plantes dans une herboristerie. Je me définis plutôt comme un « herbaliste » un terme tiré de l’anglais, soit savoir cueillir, cultiver les plantes mais aussi les transformer en remèdes et les utiliser.

Enfin, mon but est de transmettre la connaissance des plantes courantes de chez nous, en stimulant nos cinq sens ; progressivement on se met à aimer ces plantes. Je ne n’ai pas à me plaindre sur le public qui vient à mes balades, il n’y ni concurrence ni « prise de tête ». Chacun prend plaisir à cueillir et à faire, le soir, une salade, un beignet ou une infusion avec ces récoltes. Plus tard, j’espère avoir un terrain qui puisse accueillir une forêt comestible: un paradis d’abondance tant en fruitiers qu’en herbes sauvages, car je ne veux pas segmenter les espaces dans un jardin : la partie « jardin des simples », la partie prairie, la partie vergers, etc.

Certains botanistes t’ont-ils influencé ?

Francois Couplan a fait un énorme travail de référencement de plantes comestible ; Gérard Ducerf par les plantes bio-indicatrices et l’approche pragmatique des anglo-saxons m’a beaucoup influencé. James Green et Mickael Moore par exemple.

Est-ce que ta démarche s’inscrit aussi dans une démarche de survie alimentaire en cas de catastrophe ? ( cf. l’étude de la revue science)

Je ne vends pas un retour au paléolithique ! Ce qui m’intéresse c’est de donner des clés pour se faire du « bien » simplement, en glanant  et en observant la nature (quand on observe on ne pense pas). Tu utilises ton corps en le faisant bouger en grimpant dans un arbre, en se penchant pour cueillir… Dans nos modes de vie urbains, on remarque qu’on ne bouge pas vraiment : on marche, on est souvent assis.On a besoin d’avoir un corps qui bouge dans tous les sens.

En général, j’ai pas mal de personnes après mes balades qui sont rassurées et qui se disent un peu inconsciemment : « Ah, je ne vais pas mourir de faim, la nature est là pour moi ». C’est vrai que derrière cela, je suis content si les personnes peuvent être soulagées par mes stages ; toutefois, je ne m’inscris pas dans un état d’esprit « survivaliste ». Je veux éveiller des sentiments de plaisir, de temps de vivre, à quoi on utilise son temps. J’ai quand même l’impression qu’il y a beaucoup de personnes qui n’aiment pas leur métier et je trouve cela dommage. On ne valorise pas assez les connaissances simples (avec l’exemple des plantes), on est fier de connaître des sujets beaucoup plus pointus et complexes, qui sont souvent sans poésie.

« Je veux être dehors avec des gens chouettes ».

Peux-tu me donner un exemple de plante polyvalente ? Par exemple, Rognar Benson nous parle du « roseau à massette » : ses parties aériennes sont comestibles, on se sert du pollen pour faire du pain, les jeunes pousses on les mange comme des asperges, les racines sont à cuire et sont à moudre pour la farine et les poils de la fronde sont idéaux comme « allume-feu ».

Le tilleul est pour moi un arbre très généreux. Il couvre un très large spectre d’action. Il est à la fois un remède par ses bourgeons, ses fleurs et son aubier, et un comestible : on peut manger ses feuilles, ses fleurs, ses boutons floraux comme des carpes et ses graines qui ont un goût d’amande. Il vit mille ans et peut atteindre trente mètres. Je suis toujours impressionné de voir qu’une telle surface aérienne gigantesque a des quantités industrielles de salades, de soupes, de pesto et de remèdes pour éliminer les toxines, pour mieux dormir et pour régénérer le système neveux.

Personnellement et même en tant que jardinier qui privilégie une gestion différenciée dans le choix des plantes  et la durabilité du jardin, j’avais encore beaucoup d’a prioris sur les plantes sauvages, en tout cas sur leur comestibilité. Depuis très jeune, on nous apprend à ne pas nous approcher trop près la nature : « Ne touche pas cela, tu vas t’empoisonner. » Quand j’ai mangé ma première ortie, ce fut un soulagement.

J’ai acquis cette facilité de par mon éducation. Mon père n’a pas montré ces signes de peur que tu décris, cela m’a encouragé. Dans mes balades, j’invite vraiment les personnes à grignoter et à grimper dans les arbres.

Jean Marie Pelt nous dit : « On reconnaît dans les plantes une part de nous-même ». Comment reconnais-tu les plantes envahissantes

Ces plantes sont en fait les plus adaptées et donc, les plus douées d’une certaine façon, et souvent ce sont les moins aimées (le pissenlit, le gaillet graton, etc.) et elles sont souvent les plus vertueuses tant en comestibilité, qu’en médecine. Je suis l’inverse du botaniste qui cherche les plantes les plus rares et les plus belles.

Quelle est ta recette préférée de plantes sauvages, avec un minimum de préparation  ?

Le pesto de Berce : tu haches avec un couteau, avec un peu d’huile d’olive, tu rajoutes si tu as proximité des oléagineux (noix, noisettes, pignons, etc.) avec un peu de sel. Tu peux aussi le faire avec des feuilles de tilleul (le meilleur est la variété « petite feuille »). En général, si on cueille des plantes en forêt ou qu’on a un petit doute par rapport à la fréquentation des animaux, il est bien de faire bouillir de l’eau, tu mets tes plantes dans cette eau juste 3 min. C’est ce qu’on appelle les plantes blanchies en alternant cela avec le pesto des plantes cuites ou crues.

Christophe nous conseille : 

  • Y aller progressivement, plante après plante, allier pratique de terrain avec des spécialistes et lectures de livres tels que le guide des fleurs sauvages.
  • Ne consommer que si vous êtes sûr d’avoir bien identifié la plante.
  • Attention à ne pas abîmer l’environnement. Pour cela ne pas cueillir toutes les plantes d’une station mais maximum 30% et ne pas cueillir de plantes seules, rares ou protégées.
  • Utiliser tous vos sens, cela vous aidera à mieux retenir et à aimer ces plantes.

Plus d’infos ici et voici le livre de Christophe sur la question.