Pour la troisième année consécutive, une trentaine de jeunes professionnels de la cité phocéenne ont entamé un parcours de formation et de conversion personnelle à Laudato Si’. Dans une ville où la précarité s’étale au pied des villas de luxe, où les cyclistes motivés côtoient SUV et scooters débridés, où quelques salades poussent au milieu du béton des cités : comment trouver un chemin, individuel et collectif, pour vivre l’écologie intégrale ?  

Tout a commencé dans un grand champ, perdu dans les collines entre Aix-en-Provence et Marseille, un samedi matin de novembre. Une trentaine de jeunes, éparpillés ça et là, tentent de reprendre contact avec la nature. Bercés par la voix  de Marie-Christine Favé, vétérinaire de formation et experte en relations animales, Cyprien, Blandine, Mathilde et les autres ressentent le sol « qui les soutient, qui les porte ». Puis, tel un troupeau humain, ils se déplacent dans le champ, yeux clos, suivant uniquement la voix de leur guide matinal, faisant corps, prenant conscience des autres à leurs côtés. Chacun s’éloigne enfin, et rouvrant lentement les yeux, contemple le paysage qui s’ouvre alors, différent, offert, disponible. 

Cette expérience s’inscrit dans le parcours Laudato Si, qu’avec une trentaine d’autres jeunes professionnels, j’ai décidé de suivre cette année. Au programme : quatre thématiques, de l’agriculture à la politique en passant par la finance ou le transhumanisme. « L’objectif n’est ni plus ni moins de changer le cœur de l’homme », me confie Brianne, ayant participé au groupe d’origine monté en 2015 à Paris, et qui a choisi de dupliquer l’initiative à Marseille en 2019. « L’encyclique aborde des sujets complexes : pour les appréhender en profondeur, nous utilisons une méthode de travail élaborée par le père Etienne Grenet, à la source de la démarche, selon la logique voir, juger, agir ». L’objectif ? Trouver une cohérence entre écologie environnementale, humaine et sociale, en y alliant un enracinement spirituel. Pour chaque thématique, le parcours implique une première phase de recherche d’informations et d’imprégnation du sujet, un weekend permettant de rencontrer des acteurs de terrain, puis une étape d’intégration spirituelle et enfin la mise en place de résolutions individuelles concrètes.

Cultiver notre lien au vivant

Marie-Christine Favé fait partie de ces « acteurs de terrain » que nous rencontrons en ce weekend ensoleillé de novembre. « Mon objectif, c’est de comprendre la logique du vivant », nous explique cette éleveuse nomade en Luberon, qui accompagne paysans et particuliers à maintenir l’équilibre comportemental de leurs animaux, sans recours à aucun produit chimique. « Il est impossible de maîtriser complètement le vivant, il s’agit plutôt de favoriser la symbiose entre l’homme et l’animal », plaide celle qui siège aussi au conseil Laudato Si’ du diocèse de Marseille. Nous l’interrogeons sur le rôle de sa foi dans sa mission : « ça donne un sens au vivant, en ce qu’il est un don de Dieu dont nous devons prendre soin : l’animal nous fait grandir en humanité ». 

Après cette entrée en matière, nous rejoignons le monastère bénédictin de Sainte Lioba où nous sommes accueillis pour le weekend. La relation au vivant, que nous essayons d’expérimenter, passe aussi par l’hébergement dans un lieu reculé en pleine nature, dont les déclinaisons automnales se contemplent depuis les larges fenêtres de la chapelle. « L’homme fait partie du créé mais est aussi une créature spirituelle, entre immanence et transcendance », nous explique alors Rémi, membre du groupe et séminariste, en charge des topos spirituels cette année. « A l’image de Dieu qui est lui-même un jardinier qui émonde sa vigne, l’homme est appelé, par son travail, à participer à l’œuvre de la Création, qui passe par une sage connaissance des créatures », poursuit-il. Nous sommes ainsi appelés à voir le monde dans son équilibre global comme un don précieux, en opposition à une logique de rendement trop souvent présente dans nos quotidiens. 

Mais comment s’en défaire ? Comment délaisser les stratégies de profit qui régissent notre monde actuel ? Une visite à Agrosemens, au nord d’Aix-en-Provence, nous permet d’explorer quelques pistes. Nous rencontrons Cyriac, patron de ce poids lourd de la semence bio en Europe et fervent catholique : « L’entreprise est au service des paysans : c’est assez paradoxal mais notre objectif est de les rendre autonomes ». Abordant le sujet sensible de la privatisation des semences par certains géants du secteur, comme Monsanto, Cyriac ne transige pas : « L’on ne peut s’approprier le vivant : au-delà d’appauvrir les agriculteurs qui doivent désormais payer une rente pour accéder à certaines cultures, c’est un don de Dieu… et malgré toutes les tentatives possibles, l’homme ne pourra jamais créer artificiellement la magie contenue dans une graine ». Avec cette vision pourtant anti-capitaliste, Agrosemens est en croissance constante depuis une trentaine d’années. 

Devenir gardien de son jardin, en vue du bien commun

Voir le monde qui nous entoure comme un don, c’est aussi « sortir de la culture du déchet », comme nous y invite le pape François. Dans une ville comme Marseille, où 3000 tonnes d’ordures ménagères jonchent les rues – puis la mer – en cas de grève des éboueurs, cette problématique nous touche particulièrement, et parfois nous désespère. Pour nous aider à y voir plus clair, Jérémy, employé chez Suez en traitement des déchets des entreprises pour les Bouches-du-Rhône, nous donne quelques éléments de contexte – et d’espoir. « L’objectif fixé par la DREAL[1] est de diminuer la quantité de déchets incinérés ou enfouis », indique Jérémy. Pour y parvenir, deux leviers sont mis en place : des taxes plus élevées pour les entreprises générant des déchets non recyclables et une autorisation plus stricte concernant l’incinération ou l’enfouissement. « Reste le problème des dépôts sauvages », concède Jérémy : avec ce durcissement des règles, la tentation est grande d’enfreindre la loi. Ainsi, soupire-t-il, « 800 mètres cubes de gravas ont été récemment retrouvés en pleine garrigue provençale… »

De retour dans notre champ, l’heure est désormais au bilan : « ce qui m’a marquée, c’est comment, à mon échelle, être gardien du Bien Commun », s’interroge Marie. « Quel est le périmètre du jardin que je dois cultiver : mes relations familiales, amicales, professionnelles, mon propre corps ? » poursuit Juliette. « Pour moi, la connaissance engendre la responsabilité », renchérit Brianne, « et ma responsabilité en tant que chrétienne implique de rechercher la vérité ». 

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[1] Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement