Limite s’associe au groupe de travail Laudato Si fondé en 2016 et qui réunit une trentaine de jeunes professionnels et un prêtre du diocèse de Paris pour réfléchir à l’écologie intégrale. Tout au long du mois d’août, Limite publie le résultat de leurs réflexions ainsi que leurs propositions. Aujourd’hui, le thème Écologie humaine, médecine & transhumanisme.

L’écologie appliquée à l’Homme est absente des discours politiques actuels sur l’écologie, ces derniers étant plutôt libertaires et technophiles. L’écologie intégrale et chrétienne qui, comme l’a rappelé Benoit XVI, avance que « l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté » s’écarte du discours dominant. Pourtant, écologie environnementale et écologie humaine sont bien liées, car comme le dit le Pape François dans Laudato Si, « une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la création » (LS 155).

Le nouveau business du vivant

Augmentation de l’espérance de vie, guérisons qui semblaient impossibles, technologies mises au service de l’Homme, sélection voire modification génétique, maternités permises par la technique, machines qualifiées d’ « intelligentes », rêves d’augmentation et d’immortalité…etc. Le nouveau pouvoir de l’homme sur lui-même remet en cause des réalités qui nous semblaient intangibles et ouvre un champ immense de possibilités. Le défi est alors de discerner entre le dépassement positif d’une limite et la transgression. Aujourd’hui, plusieurs transgressions bioéthiques apparaissent comme l’apogée d’un certain libéralisme, faisant de l’homme un jouet du marché, livré à ses désirs, sans limite et sans pensée collective. Par exemple, le financement massif dont a bénéficié la technique révolutionnaire des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 (permettant de couper et de modifier un gène plus facilement), technique potentiellement explosive, car banalisant les manipulations génétiques, relèvent avant tout d’un choix d’opportunités financières, indifférent aux arbitrages éthiques. Le vivant devient un business et l’Homme lui-même un objet de vente et de consommation, comme le montre par exemple l’émergence d’un « droit à l’enfant » que la technique peut aujourd’hui satisfaire. 

La personne-machine

Ce nouveau marché du vivant est d’autant plus fort qu’il ne trouve en face de lui qu’un pouvoir politique faible. En effet, les grands repères communs (tel que le respect de la dignité humaine qui interdit les mères porteuses) sont fragilisés par la croissance des revendications individuelles (demande de légalisation de la GPA pour les couples hétérosexuels infertiles et par le lobby LGBT). Insidieusement, on ne recherche plus de normes collectives sur ces sujets, pour lesquels la règle est celle du « chacun pense ce qu’il veut ». Cette perte d’une vision commune de l’homme laisse le champ libre au « paradigme technocratique » dont parle le Pape. Ce paradigme, « (…) alliance de la technologie et de l’économie qui laisse de côté l’homme. » (LS 54) déborde du seul champ médical. En effet, l’intrusion de la technique, dont on dit qu’elle devient de plus en plus « intelligente », concerne tous les domaines de nos vies. Le danger est alors moins qu’un jour la machine échappe à notre contrôle, comme le prédisent certains, que de la voir redéfinir insidieusement ce qu’est l’Homme. Déjà, celui-ci est de plus en plus considéré comme une machine : sa mémoire ? Un réservoir d’informations, dépassé par l’ordinateur. Son corps ? Une mécanique à réparer. Ses souvenirs ? Des données stockables sur disque dur… 

Altérité, intériorité, vulnérabilité… humanité

L’anthropologie chrétienne est une force capable de nous arracher à l’étroitesse de ce paradigme. Elle nous enseigne par exemple que l’Homme se définit d’abord par son expérience de l’altérité, d’un plus grand que soi quand il est face au mystère de la vie ; mais aussi d’une altérité sacrée et divine. Il tire également sa dignité de sa vie intérieure qui le rend capable d’émerveillement, de sensation du temps, de la prière…etc. Enfin, il est celui qui, de l’expérience de sa précarité et de la reconnaissance de sa faiblesse, peut tirer une force mystérieuse, et connaître la joie d’être sauvé par Dieu.

L’impérialisme technocratique, qui peut paraître inéluctable, ne doit pas nous faire perdre la conviction que l’homme est une créature libre, capable de s’autodéterminer. À nous de nous engager, en faisant entendre cette sagesse et ce « pas de côté » chrétien. Pour cela, il nous faut travailler notre espérance et nous former pour construire une pensée collective. Nous devons également nous guérir de la tentation techniciste. En effet : « L’humanité s’est profondément transformée, et l’accumulation des nouveautés continuelles consacre une fugacité qui nous mène dans une seule direction, à la surface des choses. » (LS 113) écrit le Pape François. Et d’ajouter : « L’écologie humaine implique quelque chose de très profond : la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature. » Réfléchissons à notre rapport à la technologie dans nos gestes quotidiens, à ce qui fait de nous des hommes et des femmes ; travaillons à retrouver notre « capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la vie. » (LS 225).

Et maintenant, on fait quoi ? Action !

À l’écoute de son corps !

1. Comprendre son corps. Ex : poser des questions à son médecin / avoir une connaissance basique de l’anatomie / du fonctionnement des cycles féminins…

2. Prendre soin de son corps et de ses limites : suivre les cycles du sommeil / prendre le temps de bien se nourrir / ne pas aller au-delà de ses capacités de travail

Prendre le temps … d’avoir le temps

3. Préserver des temps intérieurs pendant la journée. Ex : prière, méditation, temps de pause

4. Faire des choix afin d’élaguer son agenda (saturé) pour accueillir l’imprévu, être généreux de son temps avec ses proches, prendre le temps d’écrire une lettre ou de passer un long coup de fil

Tous transhumanistes ?

5. Raisonner l’usage de la technologie : se détacher de son téléphone le temps d’un week-end, ne pas l’avoir sur soi en permanence, faire fonctionner sa mémoire plutôt que de chercher automatiquement une information sur Internet, demander son chemin au lieu de recourir au GPS

6. Faire une activité manuelle

7. Soigner nos liens et nos petites interactions au travail, à la maison, en amitié / oser des conversations plus profondes

8. Réfléchir à la place de l’altérité dans sa vie : tous mes amis se ressemblent-ils ? Si oui, chercher à diversifier ! Ne pas hésiter à sortir de sa zone de confort

9. Accompagner les personnes qui ont courageusement « choisi la vie » (ex. participer à un WE « À bras ouverts » dans l’année)

Aux bons maux les bons remèdes

10. Être vigilant face à la marchandisation de la médecine

11. Ne pas systématiquement prendre des médicaments (ex. dans certains cas de rhume)

12. Face à certains symptômes somatiques, apprendre à s’interroger et à repérer des causes profondes : rythme de vie déséquilibré, tension non résolue…Et prendre soin aussi de la vie de l’âme !

Parler, parler, parler

13. Se former en anthropologie / philosophie

14. Suivre les évolutions politiques, bien comprendre les lois (Leonetti, …) et être capable d’en parler, participer au débat public (par ex. via Alliance vita).

Si vous souhaitez vous joindre au groupe de travail Laudato Si : gt.laudatosi@gmail.com

Le groupe de travail Laudato Si réunit au cours d’une vingtaine de rencontres, une trentaine de jeunes professionnels catholiques et un prêtre de Paris avec l’objectif d’enclencher une conversion à l’écologie intégrale. L’année se divise en 4 thèmes : médecine & transhumanisme, agriculture & ressources, économie & finance, et lien social & vie dans la cité. Chacun des thème est abordé en suivant une méthode en 4 temps : (1) s’informer et se constituer des repères de réflexion (2) rencontrer au cours d’un week-end des personnes travaillant dans ce secteur (agriculteur, médecin…), pour certains déjà convertis à l’écologie intégrale (3) identifier les leviers spirituels à la conversion personnelle (4) prendre des « résolutions » concrètes.