grand éditorial

Ceci n’est pas une alternative.

1. Le mariage de Cadmos et Harmonie est le dernier où les dieux se sont assis à la même table que les hommes et ont partagé avec eux le pain et le vin. Après quoi vint le grand divorce. Ciel et terre se séparent. Le « spirituel » est mis d’un côté et le « matériel », de l’autre. On en arrive, longtemps après l’Âge de fer, à l’Âge du virtuel, et le spiritualisme le plus pacifiant devient complice du matérialisme le plus dévastateur : l’intériorité n’y a rien à voir avec l’extériorité, et les corps y ont besoin de prothèses électroniques, avant d’avoir besoin de nourritures…
Quelque chose résiste à cela, cependant. Une tradition qui a survécu à l’effondrement des traditions, et qui remet les dieux à table, et qui relie l’au-delà de l’Olympe avec le monde paysan.

L’acte spirituel le plus parfait ne nous éloigne pas de la glèbe ni du travailleur – au contraire, il assume « le fruit de la terre et du travail des hommes »

2. Ceci n’est pas une alternative. C’est le cœur même du catholicisme – malheureusement ignoré de la plupart des « cathos ». De quoi s’agit-il ? De ce que, dans sa liturgie, l’acte spirituel le plus parfait ne nous éloigne pas de la glèbe ni du travailleur – au contraire, il assume « le fruit de la terre et du travail des hommes ». Aussi, pour que cet acte ne soit pas indigne, il exige que ce fruit soit bon, et que ce travail soit juste.
Le problème peut se résumer à quelques questions : Convient-il de consacrer un pain et un vin venus d’une production industrielle ? Peut-on chercher à les acheter au moindre prix, selon les conditions du marché international ? Le Corps et le Sang du Christ peuvent-ils contenir dans leurs espèces des pesticides ? Je ne parle pas ici de validité ni de licéité (je laisse cela aux canonistes). Je parle seulement de dignité de la célébration – que la célébration soit vraiment une célébration, et non une complicité honteuse avec le monde technolibéral.

3. Sous le rapport du lien entre la divinité et la paysannerie, le christianisme apparaît plus païen que le paganisme lui-même : « Religion encore bien plus humaine que la païenne, écrit C.-F. Ramuz, et bien plus faite encore à notre taille, puisque Dieu a été l’un de nous. Puisqu’il a eu exactement une fois nos dimensions, puisqu’il a eu un corps tout pareil au nôtre, puisqu’il n’habitait pas seulement le sommet des montagnes ou l’extrémité de la nue ou les profondeurs de la terre ou les retraite des forêts, mais qu’il vivait comme nous dans une de nos maisons, dans nos rues, mangeant et buvant, dormant comme nous, nous parlant… »
Dans le même sens, Benoît XVI n’a pas craint d’affirmer que dans la « liturgie cosmique » du Verbe fait chair « le mythe de Dionysos est complètement transformé tout en étant conduit à sa vérité cachée ». Jésus est donc le secret de Bacchus, et, de fait, tout apôtre du Christ doit être aussi l’apôtre du vin.
Le missionnaire chrétien partant au bout du monde fut toujours comme Noé : après avoir traversé le déluge, il plante la vigne. Il sème aussi le blé. Pour qu’il y ait prière eucharistique, le prêtre pionnier doit se faire paysan. Et c’est une grâce s’il peut l’être encore par la suite. Mon Père est vigneron, dit le Christ, lui-même charpentier, mais s’identifiant ici au Cep (Jn 15, 1).

Ce texte est extrait du numéro 3 de Limite. Pour lire la suite, rendez-vous en librairie !