Covid, promiscuité, insécurité, mal-être et malbouffe, jamais la campagne, son air pur, sa qualité de vie, n’avait autant attiré nos concitoyens urbains. Le travail à distance s’installe à l’ombre du clocher, contre les cloches on installe sans vergogne des antennes-relais. Pour le plus grand bonheur de tous ?

De la vie champêtre

Pour les gens qui ont la chance de vivre au grand air en ce temps de pandémie, le clocher de l’église du village prend une importance insoupçonnée. D’angélus en angélus il protège et rassure depuis des siècles. François Mitterrand en fit même le symbole d’une France tranquille pour une campagne victorieuse. Le clocher est aujourd’hui devenu le point de ralliement des citadins fuyant la ville pour venir grossir les rangs anémiés des populations rurales. Tout le monde est ravi, presque en extase. Les agents immobiliers se frottent les mains. Les propriétaires se félicitent. Les vendeurs font des affaires sur le dos de vieilles masures.

Quant à nos bons vieux clochers, un plan de rajeunissement les guette. Ces angélus bien bruyants, ces sonneries régulières à l’heure des montres digitales et ces appels aux messes, de plus en plus rares d’ailleurs, tout ce folklore pourrait bien disparaître.

Les Bucoliques version électronique

Car la vie à la campagne, loin des virus, ne saurait se dispenser de bonnes connexions. Non pas de celles que l’on entretient au pied des autels, mais de celles qui nous permettent de télétravailler. Voilà un nouveau verbe induit par les derniers progrès techniques et sociaux. Nous ne plaignons pas, il ne s’agit pas d’un anglicisme. Dès lors, dans nos pays ruraux, les antennes-relais sont bien plus nécessaires mais hélas bien plus rares que les clochers. D’où l’appétit des opérateurs pour ce patrimoine si bien placé. L’hostilité des riverains, méfiants devant ces ondes traversantes, interdit l’accès à bien des endroits intéressants. L’église devient dès lors une proie facile. Pas d’habitants, du moins visibles, une hauteur majestueuse idéale et des voisins pas si proches que ça.

Des nécessités encombrantes

La plupart du temps, la commune est propriétaire de l’édifice. Dans les petits villages, la redevance payée par l’opérateur pour l’usage du domaine public communal, représente un apport intéressant. La conjonction des intérêts semble parfaite. En revanche, s’il relève de la compétence du maire d’accorder ou non l’autorisation d’installation, dans la mesure où l’église est affectée au culte, le curé titulaire doit également donner son accord. C’est la réponse qu’a fourni le gouvernement à cette question soulevée par le sénateur de la Moselle Jean-Louis Masson, en juin dernier. La Conférence des évêques de France avait déjà indiquée dans une circulaire de 2001, que la pose d’antennes-relais ne pouvait se faire sans l’accord de l’affectataire.

Une querelle des anciens et des modernes

Cependant, de nombreux curés se trouvent devant le fait accompli, et la fronde des riverains se déploie en une série de clochemerle d’un nouveau genre. Au cœur du Sud-Ouest, la petite cité gersoise de Cazaubon rejoue un épisode façon Don Camillo. Quatre coffres grisâtres masquent les relais posés sur le clocher massif en 2019. Le maire, au mécontentement un peu gêné, insiste sur la mauvaise prestation de camouflage, bien loin de celle qu’avait proposée l’opérateur. Mais des habitants s’indignent que leur lieu de culte soit ainsi vandalisé au nom du profit et du « désenclavement » numérique. Tout près de Lille, à Leers, deux antennes-relais dissimulées dans le clocher carré, narguent l’antique antenne télé de la maison d’en face. Là, c’est pour le risque sanitaire qui pèse sur les enfants, dont l’école est toute proche, que l’on s’inquiète. On pourrait multiplier les exemples, mais au sud comme au nord, ce qui préoccupe, ce sont les effets sur la santé et non pas les effets spirituels.

Des visiteurs connectés

Bien plus régulièrement que les fidèles,  des foules de touristes-pèlerins munis de leur portables viennent dans les églises. Tous ces petits appareils ne sont-ils pas chez eux auprès de leur antenne-mère ? Les avertissements pleins d’humour affichés sur les portes des sanctuaires, rappelant « qu’il est possible d’entendre ici l’appel de Dieu mais qu’il est peu probable qu’il vous contacte sur votre portable », perdent beaucoup de leur force persuasive. Et ma foi, le lieu de culte n’a t-il pas souvent servi au cours de l’histoire à bien autre chose ? Évoquons  simplement  les églises fortifiées et le roman de Victor Hugo, redevenu dramatiquement à la mode. Cependant, le quasi abandon par manque de prêtres des petites églises de campagne, présente un autre danger. Faute d’utilité cultuelle, ne vont-elles pas devenir un bâtiment communal comme un autre ?

Du devenir des églises

Dès lors on excusera les malheureux qui prendraient la nef et ses collatéraux pour une salle polyvalente à vocation culturelle, alternant chants sacrés et rap endiablé. Ou encore pour un musé communal entre bénitier du XVIIIe siècle et bannière de l’harmonie municipale de 1945.

Le recul du christianisme soulève la question de l’utilité des églises bien trop nombreuses aujourd’hui. De nombreux mariages civils, des funérailles limitées aux salles des crématoriums, rendent déjà le passage devant l’autel inutile pour les non-croyants. Seul l’aspect patrimonial du bâtiment et un respect du sacré de plus en vague incite les populations, malgré la lourdeur financière, à l’entretien de leur édifice. L’imagination des Chrétiens est sollicitée pour revivifier la vie religieuse. L’Église est une communauté vivante ? C’est le moment de le prouver sur le terrain. Et il n’est pas besoin d’antenne-relais pour que l’Esprit saint se manifeste !