Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. C’était pourtant clair, lorsqu’elles sont montées à l’échafaud pour se faire raccourcir, les bienheureuses carmélites de Compiègne savaient qu’il ne s’agissait pas d’un malentendu. Le 17 juillet 1794, « on » leur coupa la tête. « On », c’est-à-dire nous, français, d’obédience républicaine. Parce qu’elles priaient trop fort dans leur Carmel, et qu’elles vivaient de quelques dons que les Compiégnois leur donnaient, et du travail de leur main. La vie authentique, pas bourgeoise du tout.

Aussi, quand en 1931 l’écrivain Gertrud von le Fort s’empare du manuscrit d’une carmélite survivante pour en faire une nouvelle « La Dernière à l’échafaud », une quinzaine d’année après que Rome a béatifié ces seize bonne sœurs, l’émotion gagne la France. Bernanos, toujours aussi génial, en fait un dialogue pour le cinéma, qu’Agostini et le père Bruckberger rendront définitivement célèbres. Poulenc en fera un opéra. Et les amoureux des planches et de la langue profonde et dense, une authentique pièce de théâtre.

Voyage au bout de la nuit

Cela faisait trente ans que les Dialogues n’avaient pas été entendus sur une scène parisienne. Après les terribles Frères Karamazov, réussite intégrale, ces Dialogues des Carmélites se présentent comme une continuité dans le travail du Théâtre de l’Arc en Ciel, « pour trouver avec nos contemporains, en ces temps troublés, des nourritures substantielles capables de fortifier l’homme intérieur » raconte son metteur en scène Olivier Fenoy. Entre Chœur et coryphée, le texte de Bernanos creuse l’abîme de la question que tout esprit un peu éveillé s’est déjà posé : comment ne pas crever comme un lâche ? Comment donner sa vie tout à fait, sans artifices ni stratégies d’évitements ?

La simplicité de l’âme, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connue, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance…

En mourant martyres, les seize carmélites de Bernanos tracent un mode d’emploi : «La simplicité de l’âme, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connue, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance… Une fois sortie de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on retrouve une autre aurore. Suis-je redevenue une enfant ?» demande la mère prieure avant d’entrer en agonie, à l’orée de la pièce. Le martyr ne s’ôte pas la vie mais la donne en abondance, il fructifie de son sang la terre, comme le fumier amande le sol et donne la vie à son tour. De Bernanos, toujours : « Ne pas tomber dans le piège de croire le mal vainqueur. La peur, l’angoisse de la mort, conduit à travers l’épreuve traversée, à la joie ».

Les Dialogues ne sont pas un texte qui se lit. Il faut l’entendre et le laisser nous dévorer petit à petit. Cette très belle mise en scène nous en donne l’occasion, question de pas mourir trop bête.

 

Dialogues des carmélites, de Georges Bernanos
Théâtre de l’Épée-de-Bois, La Cartoucherie, route du Champs-de-Manœuvre, Paris 12e
Jusqu’au 21 février, du mercredi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h
Réservations : 01 48 08 39 74 ; www.theatrearcenciel.com
Représentations à Lyon, du 23 juin au 3 juillet 2016, lors des 21es soirées d’été du château de Machy.

Paul Piccarreta