A propos de « Les liens artificiels  » de Nathan Devers.

Photo de Jezael Melgoza (Unsplasch)

Avec son roman qui prend le métaverse pour décor, le jeune écrivain Nathan Devers offre un portrait cynique et sans équivoques sur ce monde artificiel.

Chaque jour, les actualités font leur miel des âneries débitées par les personnalités publiques sur les réseaux sociaux, Elon Musk assurant désormais la relève de Donald Trump sur Twitter. De l’autre côté, les scientifiques de tous poils répètent (sur les plateaux bien sûr) combien les écrans sont mauvais pour la santé. Plus de trois quarts des Français confessent être accros à leur portable, et pour se défaire de cette addiction ils sont nombreux à payer des retraites « digital detox » – parfois très cher. Une semaine sans Instagram et vous redécouvrez les bienfaits de la lecture, du dessin, du silence et de la solitude. So hype. Bref, tout le monde semble d’accord pour dire que les réseaux sociaux c’est mal. Pourtant, Meta a réalisé un bénéfice net de 10,3 milliards de dollars au quatrième trimestre – 8% de moins que l’année passée, mais le résultat reste plus qu’honorable. Et Mark Zuckerbeg ne cache pas son ambition d’imposer le métavers grandeur nature dans le monde entier.

Sans doute valait-il donc la peine d’écrire sur les réseaux sociaux, et Nathan Devers s’en sort plutôt bien dans Les liens artificiels. Il avoue lui-même avoir hésité entre essai et roman : ce sera finalement un roman, qu’on voudrait croire d’anticipation mais dont l’intrigue est volontairement située dans notre époque contemporaine. Le métavers grandeur nature n’est plus très loin et sera l’équivalent de la découverte de l’Amérique, assure le jeune auteur qui adopte à dessein les codes de cet univers dès la première scène, avec le suicide en « live » de Julien Libérat, notre anti-héros. A partir de ce moment, le décor est posé et le roman se déroule inéluctablement jusqu’à ce moment qui hante chaque page. Notre époque a quelque chose de la tragédie grecque, dommage qu’on considère les langues anciennes comme inutiles.4

Cet acte fondateur renferme à lui tout seul le paradoxe des réseaux sociaux, et le fil rouge du récit : le suicide dans le selfie ou l’auto-destruction dans l’acte par excellence d’affirmation de soi. En effet, Julien Libérat, professeur de piano vivant à Rungis a tout du parfait raté : largué, pauvre, mauvais chanteur, pas loin de l’alcoolisme. Le portrait fait par Nathan Devers est sans concessions, juste mais cruel. Lors d’un été étouffant, il découvre un jeu vidéo qui le fait entrer dans un métavers grandeur nature, c’est-à-dire un monde virtuel en 3D immersif. Julien adopte le pseudonyme de Vangel et devient peu à peu très riche et très puissant. Ce sont notamment ses poèmes, publiés sur le réseau social interne du jeu, qui le font connaître de façon anonyme des internautes et du créateur du jeu, Adrien. Ce dernier est l’exact opposé de Julien : grâce à son immense fortune, il peut tout faire. Très inspiré des biographies d’Elon Musk et Mark Zuckerberg, ce milliardaire de la Silicon Valley s’appuie sur l’Apocalypse de Saint Jean dans toutes ses décisions, et veille jalousement sur son jeu. Car à force de jouer les Icare, Julien-Vangel finit par se brûler les ailes, car Adrien-Dieu Soleil n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre. Internet tuera-t-il définitivement la poésie ? Le roman de Nathan Devers prouve que certains jeunes auteurs en ont sous la pédale.

Parution le 17 aout 2022.

Albin Michel, 336 pages, 19,90 euros.

Marguerite Archambault