Vrooooom ! Quand l’actualité nous ordonne d’accélérer, Limite ralentit. Conversation entre deux décroissantes décomplexées.
Des référendums, pour quoi faire ?
Eugénie BASTIÉ : « Je pense que si le NON l’avait emporté, ça clôturait le débat, mais le fait que le oui l’ait emporté ça ne résout pas la question » a dit un responsable des Verts après le OUI à Notre-Dame-des-Landes. Le résultat d’un référendum est-il forcément légitime ? Dans quelles limites cet outil démocratique peut s’exercer justement ?
Natacha POLONY : Il faut distinguer les sujets. La démocratie ne s’exerce pas de la même manière suivant les questions que l’on traite. La phrase de David Cormand nie le principe même du caractère tranchant du référendum. Elle suggère qu’il n’y aurait qu’une réponse possible, celle qui nous arrange. Lâcher cela au moment du Brexit, alors qu’une grande partie des commentateurs lance des anathèmes et considère comme irresponsable le fait de faire voter un peuple forcément abruti et pas assez éduqué, est d’une maladresse insigne. Le vote en faveur le Brexit est selon moi un signe de vitalité démocratique car il marque la révolte contre un système antidémocratique par essence. En revanche, je considère que le oui à l’aéroport va à l’encontre de l’intérêt collectif. Mais par souci de rigueur, je ne contesterai pas le résultat de ce référendum. Cela étant dit – et c’est un préalable indispensable- ce référendum de Notre-des-Landes est un exemple de démocratie faussée. Les riverains immédiats ne sont pas seuls concernés. L’avenir de la planète et des sols français n’est pas un sujet local. Il relève du bien commun. Les élus locaux s’asseyent malheureusement sur ces enjeux au nom du court terme : une vague promesse d’emplois et de croissance, une image de modernité… Quitte à bétonner, à enlaidir, et à détruire encore plus d’emplois dans l’agriculture ou les commerces de proximité. Je rappelle qu’on bétonne un mètre carré de terre en France toutes les 26 secondes !
E.B : D’accord, mais quelles sont les limites alors ? Les Parisiens ne vont pas voter pour un aéroport en Bretagne, ni les Lillois pour une décharge en PACA…
N.P : La question était mal posée et sur un périmètre biaisé. Il faut faire appel à l’ensemble du peuple français sur des orientations écologiques comme la préservation des sols, des terres arables. Localement, le référendum n’est pas forcément la forme qu’il faut pour faire émerger la démocratie. D’autant que le processus démocratique de consultations locales préalable est faussé par l’ignorance et la corruption des élus, et par la puissance des lobbys. La ligne LGV Bordeaux-Dax ou le projet Europacity à Gonesse en sont les meilleurs exemples. En fait, un déni de démocratie.
E.B : Beaucoup de candidats, surtout de droite, proposent de rétablir le référendum, dans l’esprit d’une tradition bonapartiste qui consiste à recourir au peuple de façon exceptionnelle pour adouber certaines décisions ou personnalités politiques. Le référendum n’est-il pas le moyen le plus efficace pour légitimer l’action politique ?
N.P : Le référendum est un moyen, mais c’est aussi une fin : il doit concerner des problèmes d’intérêt général mais aussi permettre de faire émerger une conscience nationale. Il ne doit pas être employé pour re-légitimer un pouvoir personnel, mais pour dépasser un blocage au niveau de la représentation politique qui empêche de mener une politique nécessaire au bien de la nation. Le référendum est un outil complémentaire à la démocratie représentative, pas un palliatif employé par des politiques démagogiques pour empêcher de remettre en question un système démocratique usé jusqu’à la moelle.
C’est en particulier le cas pour les sujets qui touchent aux institutions : il appartient au peuple de décider quel type de pouvoir il désire qu’on exerce sur lui. Il était donc légitime de proposer un référendum sur les institutions européennes qui relèvent de la loi fondamentale et sont en train de se substituer à la Constitution que s’est donné le peuple. Ce n’est pas un hasard si, après avoir parlé de « Constitution de l’Europe », les promoteurs du texte ont cherché à nier cette notion quand ils ont senti que le non pouvait l’emporter le 29 mai 2005.
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