Marie-Jo Bonnet est historienne de l’art, spécialiste de l’histoire des femmes et de l’homosexualité féminine. Militante au Mouvement de libération des femmes et cofondatrice des Gouines rouges dans les années 70, elle s’est récemment distinguée par son opposition au mariage pour tous, à la PMA sans père et à la GPA. Elle a publié de nombreux essais sur les femmes artistes et sur les femmes dans la Résistance. Elle répond aujourd’hui à nos questions sur la difficile visibilité de la contribution artistique et culturelle des femmes au patrimoine national.

[Extrait]

Le patrimoine national appartient normalement à tous les Français, hommes et femmes confondus. Comment s’assurer qu’une juste revalorisation de la contribution des femmes au patrimoine national aille dans le sens d’un enrichissement de celui-ci au bénéfice de toute la nation, hommes inclus?

C’est un combat de longue haleine, une sorte de lutte pour la reconnaissance qui se joue à plusieurs niveaux, principalement sur le plan de la valeur symbolique de la contribution des femmes et dans laquelle le public féminin commence à jouer un grand rôle. Le rôle de l’État est encore modeste et se contente trop souvent d’entériner un intérêt nouveau pour l’art des femmes alors qu’avec les moyens dont il dispose, il devrait être un découvreur! Prenons par exemple la peintre Berthe Morisot (1841 – 1895). Elle fut un des membres fondateurs de l’impressionnisme et doyenne de ce mouvement. Elle fut donc une artiste majeure dont la contribution au patrimoine de la France ne fait aucun doute. Pourtant, contrairement à ses collègues masculins, l’État ne lui a acheté qu’une seule œuvre (et sous la pression de Mallarmé, qui admirait son travail). Le résultat est qu’aujourd’hui la majorité de ses œuvres se trouve aux États-Unis et qu’il a fallu attendre un siècle et demi pour qu’une exposition rétrospective en France fasse honneur à son travail (au musée d’Orsay du 18 juin au 22 septembre 2019, NDLR). Pourtant, les femmes contribuent à l’impôt exactement comme les hommes. D’une certaine façon, les femmes financent leur exclusion des institutions artistiques, et donc du patrimoine. Il y a un grand rattrapage à faire! Acheter les œuvres, les montrer, organiser des col loques, des expositions, des débats etc.

Indépendamment des structures institutionnelles qui rendent difficilement visible la contribution des femmes à l’histoire et au patrimoine, quels sont selon vous les freins que se mettent les femmes elles-mêmes?

J’ai précédemment abordé la question de la prise de conscience par les femmes de la valeur de leur travail et de la démarche identitaire qu’elle implique.

Mais je vois un autre frein, important selon moi, qui est celui de l’absence de solidarité entre les femmes. Les femmes sont trop souvent dans une rivalité destructrice. Elles ont trop longtemps dépendu du regard masculin pour être reconnues par les institutions artistiques et patrimoniales. La solidarité est quelque chose qui se construit en s’appuyant sur une tradition historique qui nous fait défaut dans le domaine de l’art. L’art est toujours une institution masculine qui dicte les règles. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour trouver sa place dans ce qui devrait être un patrimoine national vraiment mixte. L’exposition Créatrices, l’émancipation par l’art, que j’ai pu organiser au musée des beaux-arts de Rennes durant l’été 2019, demeure une exception révélatrice. Des expositions de femmes sont nécessaires pour attirer l’attention sur le sujet, et transformer le statut des femmes artistes vers une meilleure reconnaissance.

[ Cet article est à lire en intégralité dans le 16ème numéro de Limite ]


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