Une politique écologiste locale ne peut exister sans une expertise technique et scientifique. Les écologues se tiennent à disposition, mais les candidats aux élections municipales les ignorent. Leurs programmes laissent la part belle aux mesures incantatoires qui leur évitent de faire face au défi vital auquel les citoyens sont confrontés.

Tout est parti de quelques plantes et gabions. Fin février, la mairie du 19e arrondissement de Paris annonce sur les réseaux sociaux la pose d’un « radeau végétalisé » (sic) sur le canal de l’Ourcq, destiné à favoriser la biodiversité. L’objet présente la forme peu attrayante d’une structure triangulaire de boudins flottants entre lesquels sont piquées de jeunes plantes hygrophiles. Perplexité générale ! Renseignements pris, la technique existe déjà à Rennes et à Lyon et fonctionne plutôt bien. Il faut, bien sûr, attendre que les plantes croissent avant de juger de l’aspect, mais le dispositif a fait ses preuves pour accueillir oiseaux d’eau, libellules, et plantes des bords de l’eau diverses dont les graines s’ancrent dans le maillage. Bref, un moyen astucieux de ramener faune et flore sur des berges complètement minérales et stériles pour un coup des plus modiques. Quelques écologues, dont votre serviteur, ont bien tenté de glisser cette information sur les réseaux – sans grand succès. Peu de jours auparavant, des pieds d’arbre végétalisés, des plantations d’arbustes avaient subi les mêmes huées. Et les réseaux d’enfoncer le clou : « quoi, les cathos intégristes de Limite soutiennent Hidalgo maintenant ? »

Fâcheux. Car à force de réchauffement global et d’urbanisme malavisé, on cuit à l’étouffée dans nos métropoles, et la nature y crève. Les citoyens s’en plaignent, si fort que les plus durs d’oreille des élus s’en aperçoivent, et la végétalisation devient un thème électoral en ville. Du bout des lèvres pour certains – du côté de la plaquette-programme de Gérard Collomb à Lyon, on estime « qu’avoir déjà planté 10 000 arbres par an » c’est déjà bien assez. À l’autre extrême, la liste « Décidons Paris » (LFI) entend contenir les rats parisiens en réintroduisant (sic) grâce à « une politique volontariste de réinstallation » (re-sic) un prédateur, la Chouette hulotte. On pourrait multiplier ainsi les actions citées ou réalisées et les réactions des citoyens de tous bords, presque toujours raillerie et dérision. Citoyens qui ne manqueront pourtant pas de déplorer la décrépitude écologique et dénoncer la passivité des élus. Ils sont unanimes : il faut faire quelque chose. Quoi donc ? « Pas ça », répondent-ils du même élan, quoi qu’on propose.

Des solutions incantatoires

Qu’en retenir ? Que la crise écologique, notamment climatique, s’invite à présent dans la réalité vécue des citoyens – c’est désormais acquis, les canicules s’enchaînent, les citadins suffoquent – mais pas assez pour être prise en main comme une réalité. Dans la plupart des cas, les solutions proposées relèvent de l’incantation et de l’infographie repeinte en vert. Mais lors même qu’elles sont pertinentes – comme les arbustes, les pieds d’arbre plantés et les radeaux « nature » – elles sont jugées par les Français selon une grille strictement politique, un jeu de posture. On condamne, parce que ça vient de l’élu d’en face. Un spécialiste objecte que ça marche ? « C’est moche et ça ne marchera jamais, comme tout ce que fait Machin. Mais vous volez au secours de Machin. » À l’écologue qui argumente, on rétorque « c’est de la pseudo-écologie comme tous ce que font ces pseudo-écolos ». Pire : même ceux qui portent le plus vigoureusement le sujet ne semblent guère s’intéresser à l’existence de techniciens, d’ONG spécialistes, d’une expertise capable de jauger, au moins, la faisabilité des mesures. Non, on ne peut pas réintroduire « comme ça » la Hulotte à Paris, encore moins en « implanter un grand nombre » même par la plus volontariste des politiques. Mais pourquoi diable ne pas avoir consulté les associations spécialisées en amont ? Pour le coup, ces mesures seront raillées à juste titre, et toute l’écologie tournée en ridicule à cause de dossiers mal ficelés. À croire que la pertinence, là non plus, ne compte pas !

La question centrale, qui devrait être « est-ce réalisable et efficace par rapport à l’objectif écologique sur lequel nous sommes à peu près tous d’accord ? », est à peu près la seule que personne ne pose. Et si quelqu’un, d’aventure, y répond, élus et citoyens s’accordent à rétorquer qu’ils n’en ont, en fait, rien à cirer. Malgré la gravité du sujet, désormais expérimentée par tous, la lutte contre les crises climatique et d’extinction reste bloquée au rang d’oripeau pour jeu de postures. Avec ce cirque, nous n’avons pas fini de crever de chaud.

Si la société décide de planter pour disloquer les îlots de chaleur et ramener oiseaux et insectes en ville, ce sont les écologues et eux seuls qui peuvent dire quelle forme végétale, sur quelle surface, produira tel ou tel résultat.

L’écologie se doit d’être tantôt politique, tantôt scientifique et technique. Aux scientifiques revient de lancer l’alerte, de signaler les dangers, les seuils à respecter, les indicateurs à consulter, et les valeurs qu’ils doivent marquer. À la politique, au débat citoyen, ensuite, de décider quelle société construire en conséquence ; dans le cas présent, quelle forme doit avoir la ville que nous habiterons demain. Ces orientations choisies, c’est de nouveau vers la science, vers les écologues, les ONG de terrain qu’il faut se tourner pour définir et juger ce qui est nécessaire et faisable pour atteindre les objectifs que la société s’est fixée. Si elle décide de planter pour disloquer les îlots de chaleur et ramener oiseaux et insectes en ville, ce sont les écologues et eux seuls qui peuvent dire quelle forme végétale, sur quelle surface, produira tel ou tel résultat. Prendre en main les rênes de la cité, fût-ce sous prétexte écologique, n’est pas leur rôle. Mais on en est bien loin. L’enjeu est aujourd’hui, dans cette campagne, que leur expertise soit reconnue, c’est-à-dire sollicitée. Tous les outils sont là. Si les candidats n’ouvrent pas la caisse, c’est peut-être parce qu’en fait, ils n’ont pas envie d’attaquer le chantier.