Pierre-Yves Gomez, né en 1960, est un économiste engagé, fondateur des Parcours Zachée (« la Doctrine sociale de l’Eglise dans la vie quotidienne ») et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine. Docteur en gestion, il enseigne la stratégie et la gouvernance d’entreprise à l’EM Lyon. À l’occasion de la publication de son dernier livre, Intelligence du travail, Pierre-Yves Gomez nous a accordé cet entretien exceptionnel. Il nous invite à penser et à mettre en oeuvre une doctrine sociale alternative au néolibéralisme.
« Alors qu’on estimait les mouvements spéculatifs à 5 % des transactions boursières en 1974, ils en représentaient plus de 60 % à la veille de la crise de 2007 », écrivez-vous dans Le Travail invisible. Selon vous, financiarisation de l’économie et capitalisme de rente sont les deux traits centraux de notre système économique. Pourquoi a-t-on tant de mal à en sortir ?
Je vois deux raisons. D’abord parce qu’il n’y a pas de crise financière. Il y a encore beaucoup d’argent sur les marchés, on peut s’y amuser à placer et faire encore des opérations juteuses. Tout le système peut exploser demain parce qu’il est hautement spéculatif mais, en lui-même, selon sa logique propre, il n’est pas en crise. Ce qui est en crise, c’est l’économie réelle, l’économie de la production. On peine à trouver des relais de croissance dans une économie qui est encore totalement soumise à la logique de la croissance à tout prix. La productivité stagne. Les innovations détruisent plus de valeur qu’elles n’en créent. C’est cela qui fait la crise réelle. Pas la finance. Donc les financiers continuent leur petit bonhomme de chemin…
Deuxième raison qui nous empêche de tirer les leçons du présent, il n’y a pas à proprement parler aujourd’hui de grand récit politique alternatif au capitalisme financiarisé. La tendance, pour les opposants, est de « jouer petit » : favoriser les initiatives locales, changer son voisinage, sa propre consommation. On l’a vu avec le succès du film Demain. Bien sûr, c’est nécessaire. Les transformations de la société se réalisent toujours dans et par la société elle-même. Néanmoins, ce n’est pas suffisant. La logique du système dépasse les singularités, elle fonctionne en référence à de grands récits idéologiques qui donnent de la cohérence aux actions et du pouvoir sur les autres à certains acteurs.
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- 5 ANS APRÈS LAUDATO SI :« NON, NOTRE EMPRISE SUR LE MILIEU NATUREL NE S’EST PAS RELÂCHÉE ! » - 16 mai 2020
- PAS D’ÉCOLOGIE POLITIQUE SANS SCIENTIFIQUES ! - 4 mars 2020
- COMME DES BÊTES - 14 février 2020
Je laisse un mot ici, au hasard, à cause du titre de l’article, car je voulais vous partager cette belle citation de Martin Steffens, que vous connaissez sans doute déjà, bien sûr, mais sait-on jamais. Il me semble qu’il y a là de quoi participer à fonder cette doctrine alternative, que ces quelques lignes contiennent toute une économie, une écologie, bref, qu’elles sont au service du combat contre l’illimitation néo-gnostique de notre époque :
« si, concrètement, un être était empêché de mourir, si, matériellement, sa croissance ne connut aucune fin, alors il prendrait tout l’espace, il aurait besoin, pour survivre, de tout s’approprier, sans pouvoir laisser place à autre chose qu’à son propre appétit. Quand une fleur pousse, un principe intérieur de retenue interrompt sa croissance : elle fleurira pour donner son fruit, ouverte aux abeilles qui butinent comme à la morsure du froid. Puis elle se fanera. S’il lui arrivait, comme les baobabs que le Petit Prince craint de voir se développer sur sa planète, de ne jamais périr, ses racines étoufferaient celles des autres, ses feuilles déployées obscurciraient le soleil de chacun, jetant partout leur ombre de mort. Heureusement, il y a une sainte limite, en laquelle nous sommes comme moulés : quelque chose, inscrit au coeur de notre vie, en retient la puissance et permet à d’autres d’exister. La limite habite chaque être afin que d’autres êtres puissent, avec lui habiter le monde. » – M. Steffens, ‘Vivre ensemble la fin du monde’ (Salvator, p. 100-101).