Parmi les enfants de Marx et Bourdieu, le couple Pinçon-Charlot occupe une place particulière. L’anticapitalisme, ils sont tombés dedans petits. Ils sont simples, modestes, humbles. On dirait des disciples de François d’Assise. Porte-parole du couple, Monique partage ses pensées avec Michel. depuis 1987 (voir leur site sociocites.com), ils signent tous leurs livres ensemble. Chez eux, la sociologie a quelque chose de la vocation sacerdotale. Tout nous indique qu’ils ne veulent pas faire profession d’anticapitalisme sans en avoir un minimum les vertus concrètes. Monique Pinçon-Charlot, sociologue, directrice de recherche au CNrS jusqu’en 2007, rattachée à l’institut de recherche sur les sociétés contemporaines (irESCO), accepte de prendre plus d’une heure avec nous. Ses études portent essentiellement sur la grande bourgeoisie et le processus de reproduction sociale. « C’est grâce à Monique et Michel que j’ai compris pourquoi on ne portait pas la frange dans ma famille. C’était pour les ploucs », lance l’une d’entre nous. Extrait d’une rencontre exceptionnelle.

Photographie de Cyrille Choupas – éd Zones.

Quel lien faites-vous entre les inégalités sociales et les changements climatiques ?

C’est une question centrale. Je ne parle pas de « changement climatique » mais de « dérèglement ». Je pense en effet que nous allons connaître une situation inédite et inconnue. Il y a tellement d’éléments divers et variés qui entrent en jeu que c’est comme une boule de feu qu’on ne peut absolument pas maîtriser. C’est un dérèglement total.

Ces liens entre inégalités sociales et écologie sont étroits, totalement imbriqués et donc inextricables. En effet, quelle est la cause du dérèglement climatique ? C’est pour nous le capitalisme, qui depuis plusieurs siècles et sous différentes formes, servage, esclavage, colonialisme, capitalisme industriel et aujourd’hui néolibéralisme, permet d’exploiter l’homme, via la détention de titres de propriété d’entreprises, de médias, et même de biens communs comme la santé, l’électricité, le gaz ou l’eau. Tous les domaines de l’activité économique et sociale sont actuellement objet de financiarisation et de marchandisation, et donc d’exploitation de la force de travail humaine. Mais le capitalisme c’est aussi l’exploitation des animaux et le pillage de la nature et du monde végétal. Ainsi, c’est un système qui exploite pour le seul profit des détenteurs du capital, de la propriété privée lucrative, tout le vivant depuis plus de deux siècles. Sans autre objectif que de faire du profit. Aujourd’hui nous sommes pourtant face à un rendez-vous absolument inédit, que j’ai eu honnêtement du mal à prévoir dans sa gravité. Car c’est bien la disparition de l’humanité qui est en cause.

On peut affiner cette réponse. Le système a donc évolué et nous sommes entrés dans cette ultime phase de ce paradigme, extrêmement violente, avec le néolibéralisme, la marchandisation et la financiarisation généralisée. La valeur des entreprises ne s’évalue plus qu’à partir du cours de leurs actions dans les dix ans à venir. Les entreprises sont devenues des machines à cash pour les actionnaires. D’un point de vue productif une entreprise peut être rentable mais elle peut être fermée car elle ne peut plus satisfaire la gourmandise des actionnaires. La politique, notre bien commun à nous, les citoyens, est désormais également aux mains des puissances d’argent. Dans notre livre, Le Président des ultra-riches, nous avons bien montré qu’Emmanuel Macron a été très mal élu. Au point que je ne peux même plus dire « président de la République », car nous ne sommes plus dans une république qui défend les intérêts du peuple. Nous sommes dans une dictature oligarchique qui défend les intérêts de cette oligarchie. Le président de cette oligarchie défend ces ultra-riches tels que Lagardère, Pinault ou Arnault, qui ont financé à travers de multiples façons la campagne des présidentielles et ont ainsi permis à Emmanuel Macron, non pas d’être élu, mais d’être placé à l’Élysée, sous le maquillage de la démocratie. Cela s’est notamment fait grâce au contrôle de l’information, avec cette dizaine de milliardaires qui possèdent 90 % des médias en France.

De plus, le capitalisme mondialisé ne connaît plus de frontières. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, le capitalisme n’a plus de contre-pouvoirs. De sorte que l’imbrication entre les inégalités sociales et le dérèglement climatique s’est amplifiée d’une façon considérable, et même d’une manière affolante.

Il y a cinq ans, l’encyclique Laudato Si’, écrite par le pape François, enjoignait à l’humanité de prendre conscience des enjeux écologiques et sociaux. Beaucoup de chrétiens ont entendu cet appel, d’autres dorment encore…

Les chrétiens et tous les croyants devraient se retrouver dans la lutte pour la préservation de la planète et de l’humanité. (Voir notre livre L’Argent sans foi ni loi). Qui peut vouloir interdire la poésie de la nature animale et végétale à sa descendance, pour le seul profit des grands prédateurs que sont les propriétaires du capital ? Tout le monde pressent bien le danger terrible de la montée des eaux, des feux géants, des inondations et des virus comme le Covid-19. Chacun doit être à la hauteur du défi que nous avons à affronter, pour sa dignité personnelle et pour les autres.

Pour faire entendre ce message aux chrétiens, la meilleure façon est de partir des valeurs du christianisme et de montrer que ces valeurs ne sont pas du tout portées par ceux qui nous mènent la guerre. C’est vraiment ce qui est en jeu. Pour toutes celles et ceux qui croient que Dieu a créé la Terre, la non-assistance à planète en danger est alors incompréhensible.