Dans son dernier ouvrage, L’illusion localiste (Utopia, 2020), Aurélien Bernier déconstruit l’idée que l’échelle locale est forcément la plus pertinente. Si l’action locale est nécessaire pour répondre aux enjeux économiques et environnementaux, elle n’est pas suffisante. L’attrait pour le local renforce aussi le pouvoir des grandes entreprises et accélère le désengagement de l’État. Le « localisme heureux » ne peut être une réponse aux dérives de la mondialisation. 


En octobre 2009, le « Prix Nobel d’économie » est décerné à deux chercheurs américains : Oliver Williamson et Elinor Ostrom. Première femme à recevoir cette distinction, cette dernière a consacré la plus grande partie de sa carrière à étudier la gestion collective des ressources par des communautés locales. La gauche écologiste ne tarde pas à saluer sa nomination et à faire de la scientifique une caution de l’écologie radicale ou de l’autogestion.

Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples et les « Prix Nobel d’économie » sont rarement attribués de façon purement objective. En 2009, l’économie mondiale est encore sous le coup de la crise financière des subprimes. Difficile de récompenser un ultra-libéral dans un tel contexte mais pas question non plus de mettre en danger la pensée dominante.

Si le comité qui décerne le « Nobel » choisit Ostrom, c’est parce qu’elle remet en cause « l’idée classique selon laquelle la propriété commune […] doit être prise en main par les autorités publiques ou le marché ». La chercheuse défend une troisième voie, avec des systèmes de gouvernance très décentralisés créés par les usagers pour gérer localement les ressources. Une idée qui peut séduire, car elle articule démocratie locale, responsabilité et partage. Mais qui pose en fait de sérieux problèmes.


Localisme et privatisation


Le premier est celui du rapport de force entre usagers, que la décentralisation, quelle que soit sa forme, n’a jamais permis d’aplanir ; ce n’est pas parce que la « gouvernance » est locale qu’elle s’opère entre égaux. En France, par exemple, la gestion de l’eau est largement décentralisée : la distribution d’eau potable est confiée aux communes et à leurs groupements tandis que la gestion de la ressource est organisée par bassins hydrographiques qui rassemblent les différents types d’usagers dans des comités. Est-ce que l’eau est gérée comme un « commun » ? Absolument pas. Les mairies ou les intercommunalités sont nombreuses à confier la distribution de l’eau potable à des multinationales comme Veolia, Suez ou Bouygues, ce qui offre une rente aux actionnaires et conduit le plus souvent à une augmentation des prix pour les ménages. Les chiffres des consommations prouvent également que le lobby du productivisme agricole garde ses privilèges : à lui seul, il représente la moitié des volumes annuels et près de 80 % des consommations estivales.

[…]

Cet article est à lire en intégralité dans le dernier numéro de la revue Limite consacré aux communs. Vous pouvez le trouver à la commande en ligne et en librairie à leur réouverture !

Si vous aimez Limite, abonnez-vous, il n’y a pas de meilleur moyen pour nous soutenir !

Les derniers articles par Aurélien Bernier (tout voir)