« Remember that time is money » : c’est la première recommandation de Benjamin Franklin dans ses Conseils à un jeune marchand, publiés en 1748. La vitesse aujourd’hui a pris le pouvoir, et le temps est suspendu au vol des grandes places financières. Il est urgent de ralentir.

 

Le temps, ce mutant

Tout change, surtout le temps. Malgré l’avènement du travail agricole, de la sédentarisation et de l’urbanisation, il y a plus de points communs entre un chasseur cueilleur néolithique et un agriculteur du XVIIème qu’entre moi et ma grand-mère. Vertigineux n’est-ce pas ? Comme l’a montré Paul Shepard dans Nature & Madness, les sons, les odeurs, les couleurs, les paysages, qui touchaient leur conscience n’ont plus rien en commun avec ceux que nous connaissons.

Le temps lui-même n’est plus ce qu’il était ! Autrefois fondé sur les efforts physiques des individus, sur les rythmes saisonniers, les phases lunaires et les rituels religieux, il est maintenant cadencé par la mesure implacable des horloges. Un temps arbitraire et mécanique, calculé par l’espace que parcourt une aiguille sur un cadran étriqué. Durées qui ont horreur du vide, et qu’il faut donc remplir par un maximum d’actions ou d’états de conscience. L’individu moderne est ainsi prisonnier d’un temps artificiel abstrait des repères naturels que sont la luminosité, la météo, l’activité des êtres vivants, la lassitude même. Nos perceptions ne sont pas considérées comme un critère de productivité efficace, au mieux un capital humain à rentabiliser.

 

Ralentir ou disparaître

C’est que la révolution industrielle est passée par là. Artisans et paysans, rythmés par le lent travail de l’objet et la libre croissance des plantes, ont été enfermés dans des usines, sommés de respectAfficher l'image d'origineer les cadences imposées par des machines évoluant dans un temps homogène, sans répit ni fatigue : le temps du rendement maximum. Désormais, c’est la production qui donne la mesure du temps, scandé par les nouvelles liturgies consuméristes que sont les fêtes, les soldes, la sortie du gadget dernier-cri.

Autant de rendez-vous marchands qui ont permis de rendre supportables, c’est-à-dire  prévisibles et légitimes, les changements permanents que l’économie capitaliste impose, et qui l’alimentent. Le sociologue Hartmut Rosa appelle cette précipitation du changement l’accélération sociale. Celle-ci se définit par une « augmentation de la vitesse de déclin de la fiabilité des expériences et des attentes, et par la compression des durées définies comme le présent ». Le témoignage qui sonnait juste hier sera ringard demain. En effet, la révolution industrielle n’a pas seulement réduit les distances (c’est-à-dire le temps nécessaire pour les parcourir). Elle n’a pas seulement bouleversé comme jamais notre rapport au temps : elle a modifié la manière même dont notre conscience et nos capacités cognitives fonctionnent…

Article extrait du numéro 3 de Limite. Pour lire la suite, rendez-vous en librairies ou commandez votre exemplaire sur internet.

Et pour aller plus loin, et moins vite: