Nous les réunissions dans un café du XIVème arrondissement de Paris, près du quartier général de Limite. C’est la première fois qu’ils se rencontrent. Natacha Polony, dit-elle, a découvert Olivier Rey dans une note de bas de page de Michéa. On sous-estime toujours les notes de bas de pages de Michéa. Elles peuvent présider à des rencontres fécondes. Celle entre une ancienne militante chevènementiste, convertie à la décroissance et à la décentralisation, très médiatique, et un philosophe discret qui creuse depuis quelques années le sillon d’une pensée originale, résolument opposée à la technicisation du monde. Ensemble, ils débattent en profondeur d’un sujet qui échappe souvent aux radars médiatiques, sauf sous le prisme technocratique des réunions internationales : l’écologie politique. Originairement, l’écologie nait à droite, dans le sillage de la pensée contre révolutionnaire. Pourtant aujourd’hui, elle semble l’apanage de la gauche progressiste. Pourquoi un tel glissement ? Est-elle un conservatisme, un « repli » sur la sphère du foyer, qui aurait peur d’affronter le monde et renoncerait à tout progrès ? Le bio aurait-il le goût rance des tentations réactionnaires ? Nos deux intellectuels tracent les contours et les racines de l’écologie authentique, qui n’est rien d’autre, finalement, qu’un souci de la cohérence. Propos recueillis par Eugénie Bastié

Limite:L’écologie n’est-elle pas, fondamentalement, un conservatisme, du moins une renonciation au Progrès ?

OLIVIER REY : La science moderne a tendance à toujours isoler son objet afin de le soumettre à ses méthodes d’investigation. Le problème est que le vivant ne se laisse pas facilement isoler, ou plutôt qu’en l’isolant, on passe à côté d’une de ses dimensions essentielles : les êtres vivants se développent dans un milieu et interagissent entre eux.Afficher l'image d'origine L’écologie entend tenir compte de ce fait, en étudiant le vivant non comme une juxtaposition de différents êtres dans un environnement donné, mais comme l’ensemble des relations que nouent ces êtres entre eux et avec leur milieu. L’écologie a une dimension « holiste », là où la démarche scientifique moderne est généralement analytique. Il en résulte des rapports à l’action différents. L’approche analytique va de pair avec une mentalité de problem solving : un problème, une solution. L’approche écologique montre que les choses sont plus compliquées : étant donné que dans le vivant, tout est plus ou moins lié, une action massive risque toujours d’avoir des effets imprévus, potentiellement désastreux. En conséquence, l’écologie recommande la prudence. Dans un contexte où cette prudence n’est absolument pas respectée, l’écologie recommande la conservation. Quand la destruction est en marche, il faut sauver ce qui peut l’être.

NATACHA POLONY : Le fait même de rechercher l’équilibre plutôt que l’idée que la vocation de l’être humain est de faire triompher la culture sur la nature et de devenir créateur de sa propre destinée, en s’affranchissant de tout déterminisme, est considéré comme un conservatisme. Pour la gauche industrialiste et productiviste, Jacques Ellul est un monstre conservateur.

OLIVIER REY : Encore faut-il s’entendre sur le terme « conservateur ». Aujourd’hui droite comme gauche communient dans l’anti-conservatisme. Michéa parle « d’alternance unique ». Dire que Margaret Thatcher était conservatrice alors qu’elle a détruit l’Angleterre traditionnelle est une aberration. Il s’agit de savoir ce que l’on prétend conserver.

NATACHA POLONY : Il faut absolument redéfinir les clivages politiques. On ne peut pas rester dans cette confusion qui consiste à faire croire que Madelin et Cohn-Bendit ou Juppé et Manuel Valls seraient dans des camps opposés. Les véritables clivages surgissent depuis quelques mois. Le premier est sur la question du libéralisme, le rapport à l’Europe et à la mondialisation. Estime-t’on que la mondialisation et son corollaire, la globalisation, sont une fatalité ? Deuxième clivage essentiel : la définition du Progrès. Doit on le définir comme un progrès économique et technologique, on bien reprendre la définition qu’en donnait George Orwell : « Quand on me présente un progrès, je me demande d’abord, si il nous rend moins humain ou plus humain ». Si on croise ces deux axes : souveraineté et conception du progrès, on arrive à redessiner un échiquier politique plus cohérent. Cela fait évidemment exploser le clivage gauche/droite de gouvernement.

«Quand on me présente un progrès, dit George Orwell, je me demande d’abord, si il nous rend moins humain ou plus humain »

LIMITE: Quelle place pour l’écologie dans cette redéfinition des clivages politiques ?

NP : L’écologie est un des points d’ancrage d’une reconfiguration du paysage politique. Ce qui est arrivé à José Bové est significatif. Lorsqu’il va chez KTO expliquer que puisqu’il est contre la manipulation du vivant sur les végétaux, il est aussi contre la PMA, il se fait incendier par son propre camp. Il met en avant l’incohérence des définitions des frontières politiques. De même, les tenants de la Décroissance sont ostracisés par les écologistes officiels. D’un autre côté on voit surgir l’encyclique Laudato Si, et une partie des catholiques – minoritaires- se sensibiliser à la question écologique.

OR : Le modèle autour duquel s’est constituée la science moderne – avec Galilée, Newton – est l’inanimé, qui est resté depuis lors le paradigme dominant de l’appréhension scientifique et technique du monde. Cela vaut aussi pour la biologie :Afficher l'image d'origine comme le disait le biologiste Jacques Monod, « on n’étudie plus la vie dans les laboratoires », mais essentiellement de la mécanique, de la chimie à l’intérieur du vivant. J’ai l’impression qu’il en va de même avec la politique. Le débat droite-gauche prend toute la place ou presque, alors qu’il est interne à une certaine vision du monde qui, de ce fait, échappe à la discussion. Le débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, en 2007, nous a été présenté par les deux protagonistes comme un débat « projet de société contre projet de société ». En fait, ces pseudo-débats tiennent à distance la réalité. Qui va finir par s’imposer sous diverses formes, dont l’effondrement écologique…

Extrait du numéro 2 de Limite, à retrouver en librairie.

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