Avec le mois de juin vient la grande effervescence des évaluations : une grande partie du temps scolaire et universitaire se passe en corrections et épreuves de sélection. Mais les dés sont souvent pipés. Et c’est un enseignant qui le dit.

Par ​​Philippe Franceschetti / Illustration de Victor Carpentier 

C’est la saison des notes, des classements et des appréciations, des algorithmes qui vous attribuent, ou pas, une place convoitée. À chacun selon son rang. Après tout, n’est-ce pas une bonne façon de distinguer ceux qui méritent de réussir des autres, les incompétents ? Insister sur le seul mérite est l’une des plus belles ruses néolibérales : la réussite aux examens, que l’on fait passer pour individuelle, justifie l’ordre établi. Pourquoi y a-t-il toujours autant de CSP+ dans les grandes écoles et dans les milieux dirigeants ? Mais parce qu’ils réussissent ! C’est la méritocratie ! En occultant ce que cette réussite soit-disant individuelle a nécessité d’environnement social et culturel, d’investissement familial, d’entre-soi ou de prépas payantes, on valide privilèges et préjugés.

« Dénigrer les moins éduqués est le dernier préjugé acceptable » selon le philosophe américain Mickael Sandel. Pour lui, la Tyrannie de la méritocratie (Albin Michel, 2021) permet aux plus hauts diplômés de trouver une justification de l’inégalité sociale qui se reproduit au détriment de ceux, majoritaires, qui restent sans diplôme du supérieur. Les « transfuges de classes » sont toujours des exceptions, et les quotas d’élèves défavorisés, des brevets de bonne vertu pour écoles sélectives. Surtout, même en imaginant une méritocratie réelle, capable de distinguer les individus sur leurs capacités personnelles, le ver serait déjà dans le fruit : l’individu penserait sa réussite comme le succès de lui seul, chacun méritant son sort. Cet hubris corrompt le bien commun qui devrait animer la société.

Les « transfuges de classes » sont toujours des exceptions, et les quotas d’élèves défavorisés, des brevets de bonne vertu pour écoles sélectives 

Les jeunes philosophes catholiques de La Communion qui vient (Seuil, 2021) rappellent opportunément que l’Évangile remet chaque chrétien à sa place : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » Tout est don, et pas mérite personnel. Ils prônent donc une « politique de l’antimérite » pour reconnaître les services rendus à la collectivité selon les héritages de chacun.

Que doit alors faire l’école ? Un autre détour par l’Évangile peut être profitable : la parabole des talents nous montre non pas un classement selon les mérites, mais la satisfaction de Dieu à voir les hommes user des talents donnés. L’école doit être le lieu d’épanouissement des talents de chacun, dans une vertueuse reconnaissance des bienfaits d’autrui. Vertus et talents, voilà les critères d’une légitime distinction sociale : « Tous les citoyens, égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » affirmait bien la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.

Le reste de la revue est disponible dans le n°26 « Débranchez le progrès » à retrouver en kiosque. 98p. 12€