Face au spectacle douloureux de la fermeture de la maternité du Blanc (Indre), Regain de Giono apparaît comme un motif d’espoir face au lent et implacable abandon des espaces ruraux français. En 1930, Aubignane, village imaginaire, se meurt. Le vieux forgeron et la veuve du puisatier, en désertant, laissent Panturle seul dans sa Provence natale. À l’inverse de l’agonie rurale des Raisins de la colère de Steinbeck, la vie renait à Aubignage à la fin du roman, par l’intermédiaire d’une femme, Arsule, métaphore de la vitalité et de l’espoir. Par l’union féconde des deux personnages de Regain, le désert est repeuplé, et la vie reprend ses droits.

Hélas, pas de Regain par la natalité pour la ville du Blanc, puisque la maternité a été fermée en juin dernier, malgré la lutte énergique des habitants. En effet, c’est bien la ferveur de la mobilisation qui interpelle en premier lieu. Le Blanc se fait rarement remarquer pour son agitation intempestive ; la ville vit au rythme calme et paisible de la Creuse. Pourtant, depuis le début de l’été, la rivière est sortie de son lit et la Brenne s’est embrasée.

Nous sommes le mercredi 31 octobre. Pendant que certains sont occupés à se déguiser en zombies, les Blancois eux, n’ont jamais été aussi vivants. Ils se sont rassemblés à l’école de musique, l’ancienne gare ferroviaire, fermée depuis bien longtemps, signe que l’exode du service public ne date pas d’hier. Ils sont là pour pérenniser le combat, suite à l’évacuation de la maternité dans la nuit du 29 au 30 octobre. L’ambiance n’est pas à la dépression ni à la résignation. « À cœur vaillant, rien d’impossible » avait coutume de dire un autre berrichon, Jacques Cœur. C’est avec cette farouche détermination que le collectif cpasdemainlaveille mène les discussions. Le mouvement veut s’inscrire dans la durée. « Il faut montrer que nous ne lâcherons rien ! », s’écrie avec détermination un homme de l’assemblée. « Puisque la ministre ne veut pas nous rencontrer, nous allons à sa rencontre » entend-on à l’autre bout de la salle.

Le force du collectif

C’est une véritable prouesse qu’a réalisée ce collectif, celui de fédérer sur plusieurs mois une foule toujours plus importante d’habitants de la région. Cette organisation, issue du tissu associatif du Blanc, mène depuis des mois de nombreuses actions chocs. Les banderoles et les autocollants défendant la maternité fleurissent dans la ville et les alentours. Ne vous y trompez pas, la réunion du mercredi soir n’a rien d’un club du troisième âge ! Beaucoup de jeunes dans la salle, et notamment des jeunes femmes, les premières concernées par la fermeture de la maternité. Car c’est bien elles qui devront faire un remake de Fast and Furious sur les routes mouvementées de l’Indre, pour aller accoucher en urgence à Châteauroux ou Poitiers… à plus d’une heure de route ! La fermeture de la maternité présente un réel risque pour les futurs accouchements. Dans une étude réalisée en 2014 intitulée « Temps d’accès aux maternités bourguignonnes et indicateurs de santé périnatale », les chercheurs pointaient déjà du doigt une forte augmentation de la mortinatalité à partir du moment où le trajet dépassait 45 minutes…

Dans une étude réalisée en 2014 (…) les chercheurs pointaient déjà du doigt une forte augmentation de la mortinatalité à partir du moment où le trajet dépassait 45 minutes…

Il y a des enfants aussi, visiblement ravis d’une telle agitation ! Qui a dit que les campagnes manquaient de bras ? En tout cas, elles ne manquent ni de courage et ni de volontarisme.

La start-up nation invente… le désert médical

En effet, il faut du cran pour oser s’insurger contre ce qu’on voudrait nous faire passer pour inévitable. La destruction du service public, corolaire du rabotage des comptes publics et du désengagement de l’État sur des pans entiers de son territoire, est présentée comme une évidence par les politiciens. Une évidence qui passe mal pour les Blancois.

Une maternité à une distance raisonnable de son domicile n’a rien de superflu. Vouloir conserver un endroit où donner la vie n’a rien d’un caprice irréfléchi. Les manifestants ne sont pas dupes ; ils savent très bien que le désengagement du service public est une machine infernale, qui, une fois enclenchée, écrase tout sur son passage. L’abîme appelle l’abîme, tout comme la fermeture d’un service en appelle d’autres. Un jour ce sera l’hôpital tout entier qui disparaitra, aspiré par la désertification rurale.

Vouloir conserver un endroit où donner la vie n’a rien d’un caprice irréfléchi. Les manifestants ne sont pas dupes ; ils savent très bien que le désengagement du service public est une machine infernale, qui, une fois enclenchée, écrase tout sur son passage.

En effet, les établissements de santé sont plus que jamais menacés en zone rurale. Les objectifs à termes des ARS (agence régionale de santé) sont de conserver un hôpital par département. Depuis 1996, un tiers des maternités a fermé en France. Le Blanc n’a rien d’un cas isolé. Le collectif cpasdemainlaveille est en lien avec les villes de Saint-Claude et Bernay qui connaissent des situations similaires. Deux employés de l’hôpital de Vierzon ont entamé une grève de la faim. Une telle détermination doit nous interpeller sur la gravité de la situation. Une grève de la faim est l’ultime réaction face au désespoir. Elle est bien le symptôme de l’angoisse profonde d’un peuple face à l’abandon grandissant de l’État.

Le soutien des élus

Le 13 octobre, 60 élus ont déposé leur écharpe devant la préfecture, signifiant par là leur démission. Parmi eux, le maire du Blanc, Annick Gombert, qui fustige : « C’est la survie de notre territoire qui est en jeu. Nous refusons le saccage de la santé. » C’est par cette sentence, lourde de sens, que l’élue entame la discussion. Le maire est à l’image de ses électeurs : plein d’énergie et d’enthousiasme ! On ne perçoit pas le moindre signe de fatigue chez cette intrépide sexagénaire qui renchérit : « On doit conserver une maternité de proximité, par tous les moyens. » Cette dernière a reçu un soutien de taille, celui de Jean Lassalle, bretteur acharné au service de la ruralité. Blancois, Blancoises, vous n’êtes pas seuls ! L’ours des Pyrénées se porte à votre secours.

L’État et la France périphérique, un divorce acté

Les débats houleux autour de la fermeture de la maternité s’inscrivent dans une perspective plus large, celle de l’incapacité de l’État d’assurer certaines de ses missions en dehors des grandes métropoles. Le dilemme entre la réduction du déficit et la continuité du service public se transforme en casse-tête insoluble. La lutte contre l’endettement est aujourd’hui une impérieuse nécessité ! Personne ne le niera. Mais on ne gère pas la santé, surtout la maternité, avec la comptabilité comme seul repère. L’équilibre budgétaire n’est pas l’horizon indépassable de la pensée. Surtout si l’on considère que les seuls endettements justifiés pour l’État sont les investissements pour l’avenir. Or, qu’est-ce qui prépare mieux l’avenir qu’une maternité ? C’est le droit de bien naître, dans des conditions dignes à la fois pour la femme et pour l’enfant, qui est défendu ici.

Or, qu’est-ce qui prépare mieux l’avenir qu’une maternité ? C’est le droit de bien naître, dans des conditions dignes à la fois pour la femme et pour l’enfant, qui est défendu ici.

Certes la maternité du Blanc ne sera jamais une vache à lait, ni un investissement juteux. Si la maternité n’a pas trouvé grâce d’un point de vue budgétaire, elle peut tout à fait être défendue avec une vision économique plus globale. La fermeture d’une maternité est lourde de conséquences en ce qui touche à la confiance dans l’avenir des ménages ; elle participe à la dégradation de l’accès à la santé, elle crée un sentiment d’abandon et plonge Le Blanc dans la spirale infernale du déclassement. En prenant un peu de hauteur, en sortant de la vision étriquée du gestionnaire budgétaire, le maintien de la maternité du Blanc est légitime et justifiable.

Le service de proximité est mort, vive le service de proximité !

Surtout que ce n’est pas l’endettement de l’hôpital qui a été mis en avant pour justifier la fermeture de l’hôpital. L’argument invoqué était le manque de personnel ! Une représentante du personnel de l’hôpital du Blanc exprime son désaccord : la maternité recevait des candidatures de gynécologues, d’obstétriciens et de sages-femmes. Mais ces candidatures ont été bloquées par la hiérarchie, afin de créer une pénurie de fait.

Le ministre de la santé, Agnès Buzyn, a déclaré, sur les bases d’un audit réalisé par l’ARS, que la maternité avait des pratiques « dangereuses » et manquait de professionnalisme. Outre le caractère résolument blessant de cette rhétorique vis-à-vis du personnel de santé (dont cinq membres de la maternité sont actuellement en arrêt maladie suite à des burn-out), ces propos relèvent tout simplement de la calomnie. Toutes les Blancoises interrogées sont formelles : la maternité ne présentait aucun caractère insalubre. Au contraire ! Une sage-femme évoque les nombreux cas de patientes venant accoucher au Blanc plutôt que dans les grands hôpitaux urbains. Les témoignages affluent pour défendre la qualité du service de proximité. Les césariennes étaient largement évitées, l’allaitement favorisé… On est loin du calvaire sanitaire évoqué plus haut.

Une sage-femme évoque les nombreux cas de patientes venant accoucher au Blanc plutôt que dans les grands hôpitaux urbains. Les témoignages affluent pour défendre la qualité du service de proximité.

Cette qualité du service de proximité doit être mise en avant pour endiguer sa chute. Car il est certain que sans volonté de promouvoir ces services, ils seront tous menacés de disparition. C’est aux acteurs locaux d’innover pour préserver leurs structures. Sans cette promotion de la qualité des services de proximité, il est certain que peu d’établissements résisteront à la grande faucheuse budgétaire. Trouver, par tous les moyens, des solutions d’avenir pour pérenniser ces structures essentielles au bien commun, tel est le défi qui attend tous ceux qui ne se résignent pas au néant rural. Les Blancois ont montré à travers leurs manifestations qu’ils avaient de la créativité, de la volonté, et surtout, qu’ils n’avaient pas renoncé à ce qui fait le ciment des sociétés : l’intérêt général.

Les Blancois ont montré à travers leurs manifestations qu’ils avaient de la créativité, de la volonté, et surtout, qu’ils n’avaient pas renoncé à ce qui fait le ciment des sociétés : l’intérêt général.

« Il est revenu le grand printemps » conclut Giono à la fin de Regain pour signifier la renaissance du hameau. Le dernier chapitre s’achève sur cette scène savoureuse et pleine de charme : Panturle regarde Arsule se déplacer lourdement du fait de sa grossesse : « Elle vient. Elle traîne un peu les pieds. Elle bouge un peu les épaules en marchant comme s’il fallait aider les jambes avec toutes les forces du corps. Elle s’est alourdie ; elle s’est alentie. Elle joue avec une branche d’aubépine. Il la regarde venir. Elle va sur l’herbe neuve, en choisissant des places où il n’y a pas encore des pâquerettes. La voilà (…) il la voit avec des yeux tout neufs. » Arsule, elle, n’était certainement pas privée de maternité ! En espérant que Le Blanc connaisse, à l’image de la maternité de Gracay, une réouverture.

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