« ZAD et amour partout ! » C’est la devise de Petof, « l’Indien » de la vallée d’Aspe qu’on rencontre un peu partout, de Notre Dame des Landes à Roybon, de Bure à Sivens. Rencontre avec un Jesus Freak en guerre contre les bétonneurs.

 

Notre Dame des lendemains qui chantent

La première fois que j’ai rencontré Eric Petetin, c’était à la messe. Des dreads surmontés d’une grande plume, un poncho, un sarouel, un chant de louange spontané dans la nef clairsemée : impossible de le rater. Il campait alors dans les bois sur le site du futur Grand Stade de Lyon, l’OL-Land, pour tenter de retarder les travaux de ce nouveau temple du foot-business. Je l’ai revu ensuite, de loin en loin. Sur la vidéo d’une évacuation musclée à Sivens, on le voyait grimper à un arbre pour échapper aux flics. Aux dernières assises chrétiennes de l’écologie, à Saint-Étienne, où j’étais fier de lui montrer Limite, il me dit cette phrase que je n’oublierai jamais : « Manger sans remercier Dieu, c’est du vol ! » Et puis j’ai appris sa mise en détention. En HP. Le choc.

Qu’avait donc fait cette fois notre « cinglé de Jésus » ? Un petit feu de cagette, place de la République, fin décembre, alors qu’il dormait auprès de quelques migrants. Il est mis en garde à vue, déclaré irresponsable, et placé en « hospitalisation d’office ». Un comité de soutien se forme, des personnalités comme Noël Mamère ou Mgr Gaillot montent au créneau. Eric est libéré, après 36 jours de camisole chimique, « le jour de la Chandeleur ». Je l’appelle alors qu’il est rentré chez lui, en vallée d’Aspe, dans les Pyrénées. C’est là que dans les années 70 le jeune diplômé de Science Po Bordeaux est devenu disciple d’Antoine Dieuzayde, le « jésuite rouge » féru d’alpinisme, là que l’objecteur de conscience est devenu « écolo-contestataire ». Là aussi qu’à partir de son QG de la « Goutte d’eau », ce baroudeur enraciné a mené entre 1991 et 2000 une lutte acharnée contre le tunnel du Somport (qui défigura sa chère vallée en décuplant le trafic de camions).

 

La ZAD mode d’emploi

Mais les ZAD ne doivent pas être que des lieux de résistance, il faut en faire des Zones d’Apprentissage de la Décroissance. C’est ce que je veux faire maintenant.

Déçu, mais pas abattu : s’il espérait qu’un grand mouvement déborderait la COP21 pour enfin renverser le capitalisme, Petof n’a perdu ni sa verve ni sa foi ni sa rage. « J’ai besoin de me poser quelque temps, en famille, de méditer. Tu vois, je suis en train de lire l’Imitation de Jésus-Christ, c’est magnifique. Mais je ne vais pas lâcher le combat ! » De fait, il a déjà rejoint la ZAD de Bordères-sur l’Echez, près de Tarbes, contre une usine de traitement des déchets. « J’ai besoin d’être sur le front, pas à l’arrière, au chaud ! Mais les ZAD ne doivent pas être que des lieux de résistance, il faut en faire des Zones d’Apprentissage de la Décroissance. C’est ce que je veux faire maintenant. » De fait, pour arrêter les bétonneurs, les zadistes s’organisent. Depuis 5 ans, Notre-Dame-des-Landes progresse vers l’autonomie. « La première fois que j’y suis allé, en 2012, il n’y avait que des cabanes, raconte Petof. Maintenant, il y a des potagers, des ateliers d’artisanat, une petite école pour les quelques familles, des lieux culturels. Un vrai petit village ! » C’est d’ailleurs cette pérennité de l’installation qui a permis aux zadistes de « Notre Dame des Bois », à Tronçay dans le Morvan, de protéger leur forêt contre une scierie géante.

« Le zadisme, pour moi, c’est le don et la créativité. Objets, nourriture, vêtement, on met en commun, on partage : c’est très évangélique ! Et puis, les rencontres favorisent la créativité, on apprend à se débrouiller. C’est l’aventure ! » Aussi les ZAD sont-elles moins des enclaves isolées que des postes avancés de la société écologique, car partout des « travailleurs de l’ombre » inventent, au quotidien, dans les villes, des modes de vie moins destructeurs. Reste que la vie communautaire partagée par les zadistes est pour Eric le chemin le plus sûr pour vivre l’amour fraternel, dans un esprit de pauvreté choisie. Ce n’est pas pour rien qu’il considère le poverello d’Assise comme son « parrain spirituel »[…]

Cet article est extrait du numéro 3 de Limite. Pour continuer la lecture, rendez-vous en librairie.