En l’an 258, durant les persécutions de Valérien , quand le préfet de Rome ordonna au diacre Laurent de remettre à l’empereur les biens de l’Eglise, dont il avait la garde de par sa fonction, Laurent rassembla pauvres, boiteux et aveugles puis lui fit cette réponse : « voilà les vrais trésors de l’Église. » Suite à quoi il fut brulé vif sur un grill en une lente agonie. On peut donc supposer que saint Laurent ne voulut pas simplement faire une bonne blague mais exprimer une vérité de foi. Car a priori, Dieu préfère les pauvres. Il n’a rien contre les riches bien sûr, mais c’est que les pauvres anticipent son Royaume ; là où l’on ne peut entrer que les mains vides, dépouillé de ses biens comme de son orgueil… Aujourd’hui, curieusement, le catholicisme semble davantage bourgeois que populaire. A défaut d’une explication unique et pertinente, passons en revue quatorze hypothèses sur la bourgeoisie et le catholicisme pour tenter de répondre à la question suivante: le catholicisme, un truc de bourgeois?
1) Hypothèse :Il n’y a pas plus de bourgeois qu’avant, ce sont juste les autres qui sont partis.
(Peut-être), mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.
2) On s’interroge davantage sur le sens de la vie quand on a des choses à perdre, donc que l’on possède.
(Faux). Ah bon, et au volant de chaque Porsche Cayenne il y a un Sénèque qui sommeille ? Déjà qu’en France aujourd’hui la richesse n’est plus perçue comme une responsabilité civique ou morale, alors comme un appel spirituel… Un Jérôme Kerviel semble d’ailleurs ne jamais tant s’être interrogé sur le sens de la vie qu’après sa ruine.
3) La foi n’est plus portée par la culture ambiante, donc nécessite des efforts importants pour la découvrir (formation, effort intellectuel, etc.)
(Vrai). A ce titre, on a pu parler de l’ « exculturation » du catholicisme, sa sortie des référents communs de la société française.
4) Le saut de la foi implique une mise en sommeil de l’esprit critique, ce qui correspond davantage à l’éducation bourgeoise traditionnelle.
(Faux). Le saut de la foi implique plutôt d’accepter qu’on ne sait ni ne maîtrise tout, expérience de désappopriation qui n’a rien de spécifiquement bourgeoise, peut-être même au contraire.
5) Ceux qui ont mauvaise conscience de leurs richesses se tournent vers la justification par la foi.
(Faux). Il y a 100 ans peut-être, mais en 2016…
6) La spécificité du message évangélique par rapport aux valeurs « humanistes » n’a pas été assez annoncée pendant les 40 dernières années.
(En partie vrai). L’idée qu’aider son prochain vaut mieux qu’aller à la messe a sans doute contribué, dans les années 70-80, à l’éloignement de l’Eglise de toute une génération socialement engagée (dans le syndicalisme par exemple), une génération qui constituait une cheville ouvrière du lien entre l’Eglise et les milieux populaires (par exemple via la JOC). Désertion du spirituel pour l’engagement social et politique, mais du coup perte du sens spécifiquement chrétien de ces engagements au profit d’un humanisme générique. Et en effet, les milieux plus bourgeois furent certainement moins sensibles à cette démarche 🙂
7) On prête davantage d’importance à la transmission de ses racines dans les milieux bourgeois.
(En partie vrai). La bourgeoisie aime à transmettre ; transmettre bien sûr un capital (économique, social, culturel), mais aussi une histoire familiale, une lignée – parfois un nom, des valeurs, une vision du monde… Le bourgeois se sait un maillon, entre ses ancêtres et sa descendance ; s’appuie sur les ressources du passé pour construire un avenir. Le bourgeois n’est pas un homme du perpétuel présent, un consommateur béat du progrès technologique. Il ne croit pas que son fils en sait plus que lui parce qu’il maîtrise snapchat, ou que la lecture du dernier roman pour ado vaut celle d’un Balzac. Alors bien sûr croire n’est pas un bijou de famille, bien sûr une foi qui n’est pas personnelle est une foi morte. Mais elle se transmet pourtant : comment croire à ce qu’on ne connait pas ?
(En partie faux). Les classes populaires ont pourtant, tout comme la bourgeoisie, un gout spontané pour la transmission. Mais la mondialisation, avec son marché sauvage et son acculturation, a d’abord attaqué les classes les plus démunies, entraînant trouble dans l’identification et rupture de transmission.
8) La piété populaire a été dévalorisée dans l’Eglise, il n’y a plus de modèle de foi populaire – un curé d’Ars ne passerait plus le séminaire aujourd’hui.
(Vrai) Et d’ailleurs, cette hypothèse est liée à la précédente…
9) La culture catholique se rapproche davantage de la culture bourgeoise classique (peinture, musique, etc.) que de la culture populaire, ce qui la rend plus accessible à ceux qui ont été éduqués dans cette première.
(Totalement faux). Une culture catholique n’est pas un prérequis pour croire, et beaucoup de ceux qui en maîtrisent les codes ne sont plus pratiquants.
10) L’Eglise a toujours été du côté des dominants.
(Faux). Marx, sors de ce corps. D’une façon renouvelée depuis le dernier concile, l’Eglise n’a de cesse de réaffirmer son option préférentielle pour les pauvres – expression issue de la théologie de la libération et reprise par Jean-Paul II qui l’a intégrée à la doctrine sociale de l’Eglise.
11) Le catholicisme ne s’intéresse plus à la justice sociale mais au sociétal, ce qui l’éloigne du peuple pour qui ces questions sont secondes.
(En partie faux). L’Eglise essaie de tenir ensemble respect de la nature, respect de son corps, respect de toute personne, et promotion d’institutions et de relations économiques justes, comme réaffirmé dans l’encyclique Laudato Si. Certes, les priorités sont ensuite variables suivant les points de vue…
(En partie vrai). D’ailleurs, aujourd’hui (16 juin), c’est le grand retour de la Manif pour tous. Et les médias (tenus par des bourgeois) parleront plutôt de Ludovine de la Rochère que de la super conférence des Alternatives catholiques, ce soir à la Procure, sur l’anarchiste Simone Weil.
12) Le christianisme a historiquement attiré des classes sociale à la fois favorisées et conscientes de leur vulnérabilité (e.g. les femmes patriciennes dans l’empire romain) ; c’est le cas aujourd’hui de la bourgeoisie traditionnelle.
(Faux et faux). Un chrétien doit (devrait ?) certes être conscient de sa vulnérabilité, de sa faiblesse, de sa petitesse, mais sa vulnérabilité personnelle et non celle de son groupe social. Et la bourgeoisie n’est pas et de loin la plus menacée par la mondialisation…
13) La fraternité est plus forte dans les classes populaires que dans les milieux favorisés, ce qui conduit ces derniers à la rechercher dans les communautés ecclésiales.
(Faux). Neuilly n’a pas besoin de l’Eglise pour organiser ses rallyes. Certaines communautés ecclésiales sont certes marquées par une douillette sensation d’entresoi, mais 1) ce n’est pas nécessairement l’apanage des plus aisées et 2) ça se finit souvent mal – par manque d’altérité.
14) Les classes moyennes sont davantage marquées par une culture « mass media » dont les valeurs sont largement contradictoires avec la foi chrétienne.
(En partie faux). En quoi le fait d’être abonné à Valeurs actuelles et de frayer avec les mercenaire des grandes entreprises permet -il un enracinement dans la foi ?
(En partie vrai). Pourtant, force est de constater une pratique religieuse particulièrement faible dans « la France périphérique », ces zones pavillonnaires périurbaines où les paroisses survivent souvent plus qu’elles ne vivent.
En guise de conclusion
Si le catholicisme est devenu peu à peu un fait social et culturel majoritairement pratiqué par la bourgeoisie, cela reste une histoire française. Cette courbe s’inverse dans d’autres pays, ainsi par exemple en Amérique du Sud. Par ailleurs, il est important de souligner combien la sureprésentation médiatique d’un certain catholicisme tend à voiler des réalités plus complexes sur le catholicisme social et populaire. Dans les pages sociales du prochain numéro (Septembre 2016), nous nous efforcerons de démontrer que les « enfants du catholicisme social », contrairement à un cliché répandu, sont bel et bien présents dans la société française, et qu’ils agissent, chacun à leur place, loin des feux médiatiques.
Par Aimé Blumentern, avec Paul Piccarreta
Qu’en est-il de l’origine sociale des séminaristes aujourd’hui ?
De quelle bourgeoisie parle-t-on ? Existe-t-il dans votre esprit une bourgeoisie non catholique ?
Quand à moi il me semble, tant qu’à nommer les choses, que la bourgeoisie catholique dont vous parlez ici est globalement issue de la noblesse. Ce sont les valeurs de transmission, service, don de sa vie qui ont maintenu le chemin vers la foi chez les jeunes générations.
A coté, il me semble que tout mon milieu pro est « bourgeois », si ce n’est Cayenne, au moins un sub, une maison dans les quartiers chics de ma ville de province, une villa dans la bonne station balnéaire … une grande attention aux études des enfants, pour lesquels les investissements sont importants (transmission), une culture du travail et de la progression, une certaine ambition de culture artistique ( abonnement au théâtre, cinéma, expos, voyages à Paris, visite des villes européennes…), mais parlez leur de la foi, au mieux ils continuent à baptiser les enfants, et se faire enterrer à léglise, au plus courant ils vont rigoler. Pour eux c’est un truc de débiles, de vieille bourgeoisie dégénérée ou de fins fonds de campagne. !
Il me semble que le mot bourgeois n’est pas vraiment approprié ici en fait.
J’ajouterais que beaucoup de pays ont été évangélisés par les classes sociales les plus élevées. Rappelons-nous de Clovis, évangélisé par sa femme, issue de la grande noblesse.
Et il me semble que cette situation a souvent eu lieu en France – au moment de la guerre de 14 par exemple.
J’ajouterai l’hypothèse suivante : L’Église de France a fait le choix aujourd’hui de privilégier les “bourgeois“ pour annoncer le Christ plutôt que d’aller chez des plus pauvres, plus petits parce que c’est moins facile
(et ça dérange)
Bonjour,
Tout d’abord, je me suis toujours dit que si certains chrétiens s’étaient autant -visiblement- mobilisés pour les pauvres qu’ils ne l’ont fait contre le mariage pour tous, le pays, voire le continent (et peut-être même au-delà), se porterait bien mieux. Cela pourrait faire l’objet d’un article à part entière…
En ce qui concerne la « nature bourgeoise » du catholique « de base », je m’exprimerai avec le recul d’un chômeur rural fraîchement converti (un peu plus d’un an). Dans le bourg où j’habite, je constate simplement que si l’office du dimanche est fréquenté par tous les niveaux de revenus et d’instruction, le conseil paroissial et autres para-structures sont composés en majorité de gens aisés. Les mêmes dont les enfants sont scolarisés dans le privé, font les scouts, etc…
Simple constat qui ne fait pas non plus avancer le schmilblick me direz-vous. Mais le fait d’être revenu vers l’Eglise ces derniers mois m’a fait constater que, si l’accueil était bien souvent souriant, il est difficile de trouver sa place dans des organisations déjà bien rodées (ce qui n’est pas un reproche, loin de là). Méfiance devant un inconnu ? Peut-être ? Confort de l’entre-soi ? Sans doute. Car à chaque réunion où des témoignages étaient délivrés, ceux-ci renvoyaient à l’aumônerie scout, au pélé d’enfance ou de jeune adulte, à une célébration en l’hommage du saint tutélaire de l’école, à une conversation avec l’abbé venu manger un dimanche en famille, etc… Autant de choses qui sont totalement inconnues de mon entourage pourtant pas complètement incroyant.
Et donc ? Juste une hypothèse au débotté, sans rigueur philosophico-universito-théso-sociologique. Et si l’accompagnement de la paroisse était simplement trusté par ceux qui en connaissent les codes. Un peu comme les gamins de prof qui forment la majorité des agrégés et des bénéficiaires d’ERASMUS. Alors certes, les pauvres pratiquants aussi peuvent détenir les codes. Mais face à un commerçant, un cadre, un élu, un médecin, autant de professions habitués à s’exprimer en public, à organiser, à « manager », celui qui n’est habitué à être qu’un exécutant peut se sentir dépourvu faute de confiance et retrouver les automatismes de la vie civile. Logique schématique mais encore une fois ce n’est qu’un ersatz de retour d’expérience.
Je passe sur l’opinion de ma mère qui, malgré la sympathie qu’elle éprouve aujourd’hui pour les curés locaux, a été marquée par son enfance nordiste industrieuse au cours de laquelle « les curés ne vont manger que chez les bourgeois », « à ma communion, les pauvres, c’était derrière », et autres joyeusetés vécues. Cela a été vrai, l’est peut-être encore dans certains (mi)lieux, mais en ce qui me concerne, je ne peux que reconnaître avoir toujours été bras ouverts par les abbés vers qui je me suis tourné.
J’oublie également la théorie pseudo-sociologique lue un jour par accident et selon laquelle les pauvres n’ont qu’une vue à court terme (et c’est pour cela qu’ils restent pauvres). Loto, jeux à gratter, plats préparés, cigarettes : appartenir au quart-monde ne résulterait que d’une incapacité à se projeter et à prévoir. Je ne commenterai pas cette vision hautaine sans doute pondue par un sociologue militant par ailleurs dans un micro-parti auto-proclamé « avant-garde », mais appliquée à la foi, on pourrait imaginer que les pauvres ne s’intéressant pas à demain, pourquoi seraient-ils plus préoccupés par l’au-delà ? Cet argument pourrait de toute façon être facilement balayé car « pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait » et qui plus est, il est bien connu qu’il y aura des grincements de dents. En conséquence, il ne sert à rien d’imaginer une éventuelle thésaurisation de la foi.
Mais alors ? A quoi tient ce rôle de marqueur social qu’endosse le catholicisme dans l’imaginaire collectif ? A la recherche d’honorabilité peut-être ? Cet aspect est peut-être moins présent dans les grandes villes mais reste encore vivace chez les générations rurales les plus âgées. A la volonté de se faire pardonner ? Car n’oublions pas que pour qu’une transaction soit rentable, il faut toujours qu’il y ait un gagnant et donc un perdant… Et on retrouve les différentes hypothèses présentées par l’article.
Au final, plutôt que de chercher à délimiter une problématique… Renvoyons simplement à l’Evangile du jour, ce 25ème dimanche du temps ordinaire : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ». La question de départ ne serait donc pas « Pourquoi le catholicisme apparaît comme un truc de bourgeois ? » mais plutôt « Comment les bourgeois parviennent-ils à être catholiques ? ».
Bien à vous.
Charles Elday