Plutôt que d’aller renifler les poubelles de l’Histoire, aiguillés par la peur des lendemains, si on allait chercher la lumière sous le boisseau ? Elle a brillé dans les années 1930 chez les mouvements spiritualistes, personnalistes ou non conformistes, qu’il est urgent de redécouvrir.

« Les années 1930 sont de retour ». C’est en frissonnant d’épouvante que les éditorialistes de gauche brandissent cet épouvantail pour pointer du doigt la dangereuse pente sur laquelle glisserait notre époque. Crise économique, montée des populismes, xénophobie… tous les indicateurs sont au rouge, et on sait comment tout cela se termine. Pourtant, il est proprement injuste et sidérant qu’une des périodes les plus intellectuellement bouillonnantes de la France contemporaine en soit réduite au masque épouvantable des heures les plus sombres de notre Histoire, qu’auraient mieux mérité les tristes années 40. Il est urgent de redécouvrir cette époque féconde intellectuellement, et qui ressemble à la notre, mais pas pour le pire.

Nous sommes un peu plus de dix ans après la Première Guerre mondiale. Paris n’est pas encore une capitale pour touristes et étudiants Erasmus. Entre la Sorbonne et Sciences-Po, on vit, on dort, on manifeste dans ce quartier latin en ébullition permanente. L’Action française a ses locaux rue Saint-André-des-Arts, et à la maison de la Chimie, rue Serpente, s’enchainent les conférences. On se hue, on s’invective. Les gazettes et les revues se multiplient. Les jeunes hommes de 20 ans ne se sont pas battus en 14, mais ils vivent dans une société marquée par les stigmates de
la guerre. Une société pleine de veuves et de mutilés, de cérémonies aux monuments aux morts. Une société de grands-pères, où les pères ont disparu engloutis dans les tranchées. Pour nombre d’entre eux orphelins, ces jeunes gens ont conscience peut-être pour la première fois de former une « génération ». « De bord différents, ils ont le sentiment d’être dans le même bateau. Il y a une vraie matrice générationnelle, la conviction que parce qu’ils sont jeunes ils se doivent d’être unis. Ils constatent une décadence, sans être pour autant nostalgiques d’un passé idéalisé », explique Olivier Dard, auteur de Le Rendez-vous manqué des relèves des années 30, un ouvrage majeur sur la période. « Conservateur est un mot que nul ne songerait alors revendiquer. Pour conserver quoi ? »

« Spiritualistes » contre « réalistes » : un débat de génération

Dans un autre ouvrage essentiel, Les Non-conformistes des années 30. Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Jean-Louis Loubet del Bayle étudie trois mouvements de cette période en particulier : la revue personnaliste Esprit fondée en 1932 par Emmanuel Mounier, le courant Jeune Droite de catholiques imprégnés d’Action française (Jean de Fabrègues, Jean-Pierre Maxence, Thierry Moulnier) et Ordre nouveau (Robert Aron, Denis de Rougemeont) dont le manifeste proclame : « Traditionalistes mais non conservateurs, réalistes mais non opportunistes, révolutionnaires mais non révoltés […] ni bellicistes, ni pacifistes, patriotes mais non nationalistes, socialistes mais non matérialistes »

Au-delà de ce tempérament « niniste » qui leur fait rejeter à la fois le mirage de marxisme et les marasmes de la société capitaliste, qu’ont-ils en commun ? Une volonté de « rompre avec le désordre établi », l’attachement à l’idée de « révolution » non marxiste et non fasciste et la perspective d’une économie au service de l’homme. Le sens de la communauté, la lutte contre l’individualisme, la critique de la civilisation matérialiste, l’attachement aux corps intermédiaires.

Comme l’explique Olivier Dard dans Le Rendez-vous manqué des relèves, le débat oppose alors ces « spiritualistes », opposés au progrès machiniste, conscients d’une crise de civilisation et empreints de moralisme (« ce que nous combattons, ce n’est pas une cité inconfortable, c’est une cité mauvaise », écrit Mounier) aux « réalistes », qui eux fustigent le retard économique de la France, se tournent vers l’Allemagne et l’idée européenne, et veulent la rationalisation des institutions et l’industrialisation de l’économie.

 

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