Dans une vallée de l’Ardèche, à Saint-Pierre-de-Colombier, un projet ambitieux de construction d’une basilique avec ses infrastructures fait couler beaucoup d’encre et suscite des questions quant à la prise en compte des espèces et des milieux dans le projet d’aménagement. L’occasion de s’interroger sur l’articulation de l’évangélisation et de l’écologie en ces temps d’effondrement.

La première partie de cet article est à retrouver ici.

Une promesse qui engage

Nous pouvons aussi revenir en arrière, sur la fondation de la communauté et ses intuitions.

Effectivement, l‘origine du projet commence dès la fondation de la communauté en 1946, c’est-à-dire « créer une église pour faciliter la mission et la célébration de l‘Eucharistie ». Dans la naissance de la vocation du fondateur et dans l‘intuition fondatrice de l’aventure missionnaire qui a pris pied à St-Pierre-de-Colombier (07450), c’est la figure du Père Sevin et du scoutisme qui est mise en avant [9].

Le vénérable Jacques Sevin est le fondateur du scoutisme catholique en France dont nous fêtons cette année le centenaire, cette formidable méthode d’éducation pour la jeunesse.

Le Père Sevin écrivait sur la loi scoute ces quelques lignes extraites d’un texte plus vaste [10] :

« Elle te dit d’aimer les fleurs et leurs corolles

Dont les feux du soleil font jouer les émaux,

Elle te prêche la pitié des animaux,

Elle doit plaire au Dieu, diseur de paraboles.

…/… Ta loi scoute, elle est sainte et sent bon l’Évangile,

Tu peux en être fier c’est la loi de Jésus ! »

Par-delà la valeur morale de la loi scoute, réécrite pour le scoutisme catholique par le Père SEVIN, on se rend compte au global que l‘article n’a jamais été vraiment compris ni véritablement intégré … C’est pourtant le seul article de la loi, véritable code d’honneur du scoutisme, qui parle du devoir d’aimer, qui parle d’aimer les plantes et les animaux, qui parle de Dieu et de son œuvre bonne et belle, qui nomme Dieu comme référence.

A propos de cet article de la loi, il écrivait « Dans l’esprit du législateur, cette règle repose sur un fondement religieux : on doit respecter la vie, présent de Dieu et tous les êtres vivants, créatures de Dieu » Bien-sûr, toute la loi scoute abonde dans l’esprit de la conversion écologique : « prendre soin du bien d’autrui » en fait partie. Cela était bien avant les premiers textes des papes sur l’écologie et la « maison commune », bien avant l‘effondrement sensible et massif de la biodiversité avec les conséquences sociales et économiques que nous connaissons aujourd’hui.

Une belle opportunité

Il est aisé de parler d’écologie intégrale au travers de grand discours « cléricalement corrects ». On parle cependant assez peu de conversion véritable.

Dans l’affaire qui nous intéresse, on constate malheureusement que « la nature » au global n’est qu’une contrainte parmi d’autres « embêtements administratifs », ou au mieux un faire-valoir bien sympathique, sans plus puisque pas sérieux. Il est intéressant de se rappeler que le scoutisme est une école de créativité et de sobriété « à l‘école des bois » qui sait dépasser les difficultés des projets avec leurs contraintes pour trouver la meilleure voie dans la réponse à un besoin. Ici l’accueil des pèlerins, sans plus et pourtant. Nous savons que toutes les contraintes peuvent être chemin de sainteté, une opportunité salvatrice pour le chrétien. Une occasion providentielle pour se rapprocher de Dieu, se laisser pousser par l’Esprit pour ensuite mieux parler de son Amour pour l’humanité. L’œuvre missionnaire peut débuter, par l‘exemplarité.

Alors depuis la fondation après-guerre, la fleur de lys scoute, ce Nord de « la carte de nos vies » aurait peut-être subi une trop forte déclinaison magnétique. A cette époque, si nous savions encore la valeur sacrée de la nature, notre connaissance sur l’état du monde vivant était bien médiocre. C’est que nos écosystèmes allaient encore assez bien. Dans les années qui suivirent, les politiques agricoles et industrielles furent trop souvent catastrophiques pour l‘état écologiques de nos territoires : eau, sol, climat, biodiversité.

Porter la relation

Les lieux pour se retrouver, parfois nombreux, sont effectivement porteurs d’expériences d’Église fortes. A leur niveau, ce sont des lieux où l‘Esprit souffle. Les rencontres sont nécessaires à notre humanité, sociale, facilitatrices de relations et d’échanges coopératifs entrant dans le fonctionnement complexe des interrelations entre êtres vivants, discipline première de l’écologie.

Nous parlons de faire Eglise avec la Création, vivre en cohérence dans la prière cœur à cœur avec notre Dieu « créateur de l‘univers visible et invisible », vivre en Eglise la réalité que « Toute la Création proclame Ta louange ». Pour le croyant, nous savons aussi que la nature est un lieu privilégié de la rencontre personnelle et intime avec le Créateur.

De nombreux diocèses et communautés chrétiennes entament des réflexions sur la gestion de lieux d’accueil ou de pèlerinage, des lieux importants à reconfigurer ou convertir dans un contexte écologique et économique exigeant. Bien évidemment pour le chrétien, les bonnes intentions ne suffisent pas. S’il est aujourd’hui évident de réduire nos consommations diverses, on ne peut plus vivre comme si la nature était un décor comme un autre, on ne peut plus concevoir nos lieux d’église comme des lieux fonctionnant à côté de la Création mais bien comme partie prenant d’un tout lié, bon et beau.

Cette relation est indispensable et doit se penser sur l’ensemble des liens à réconcilier, avec Dieu au travers spécialement des sacrements, avec soi-même, avec notre prochain mais aussi avec la Création non-humaine dans laquelle le Christ s’est incarné, a vécu.

De la conversion

Au travers l‘enseignement de l‘Eglise sur la valeur sublime de la Vie, nos communautés chrétiennes ont une boussole extraordinaire pour l‘humanité, qu’il convient évidement d’utiliser pour sa gouvernance. Dans son message pour la Paix en 1990 [11] , le pape Jean-Paul II parlait d’une « obligation grave de prendre soin de toute la création » en précisant « l‘engagement du croyant en faveur d’un environnement sain découle de sa Foi en Dieu Créateur ». En Eglise, l’écologie doit se penser de manière globale et complète, intégralement et sans compromissions de confort ou d’apparence.  C’est un chemin nécessaire et vital, non par calcul superficiel mais par devoir de celui à qui est confié la bonne gestion de la « maison commune ». Cette révolution est pourtant enthousiasmante, joyeuse et sainte !

Notre action de grâce

Dans nos diocèses, dans nos doyennés et paroisses, dans nos communautés religieuses, nous pouvons œuvrer et nous rappeler l‘exigence joyeuse qui est la nôtre dans l’action de grâce et la responsabilité vocationnelle. La Création n’est pas optionnelle. Et puis, comme pour ce projet en Ardèche, l’Esprit soufflant, les chrétiens sont parfois rattrapés par d’autres qui se préoccupent justement et heureusement de la nature et de ce qu’elle représente comme richesse pour nous tous. Alors sans attendre de constater les manquements ou les conflits, à chacun d’être vigilant sur notre devoir et notre témoignage individuel et collectif, de nous raccrocher au Ciel pour nous diriger dans le plan de Dieu.

Dans la nuit des cœurs et dans l‘immensité du cosmos, les étoiles nous guident. Pour que la « neige » [11] blanche de cette vallée porte la vocation missionnaire de cette communauté, qu’elle porte sans compromission la mission des chrétiens à savoir « montrer les traces divines dans la nature » ordinaire ou extraordinaire, enseigner ce qui doit l‘être [12] sur l‘amour et le respect de la nature, un amour qui ne détruit pas mais qui relie. Qu’elle enseigne et vive une nature qui est création de Dieu et qui à ce titre est sacrée. C’est cette Création et au travers elle, le Créateur, qui est célébré à chaque Eucharistie, une action de grâce comprise et vécue incarnée dans une nature belle, bonne, généreuse mais bien fragile.

Un endroit pour prier

Dans cette vallée ardéchoise, c’est alors dans une basilique qui aura su préserver du mieux possible la belle nature qui préexistait et qui ne cesse de vivre dans l‘Esprit que les chrétiens pourront avec toutes les créatures honorer et louer le Seigneur. Ce sera en paix avec Dieu et avec toute sa création, en paix avec les peuples [13].  Nous osons espérer que cette basilique, dans la forme qu’elle aura, sera un lien complet et intégral où sera célébré le sacrement qui unie ciel et terre. « L’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde …/…  L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. »[14]

Finalement, ce ne sera peut-être pas une basilique comme nous l‘entendions autrefois, ce sera un lieu de prière dans son acceptation totale et cosmique, un lieu sacré qui rayonne de l‘Amour de Dieu, par Notre-Dame sa mère, un signe des temps. En 2020, nous avons besoin de ces lieux de prière, dans cette vallée ou ailleurs, où toute la Création puisse proclamer Sa louange. Nous avons besoin de lieux pensés avec l‘intelligence de la vie, des lieux véritablement vivants, innovants de générosité et de charité. Espérons un bel endroit de nature où en vérité, la justice et la beauté rayonnent, un lieu à « Création positive ».

 [9] Histoire de la FMND : https://fmnd.org/Qui-sommes-nous/Fondation-et-fondateurs/La-fondation

[10] Poème de la loi scoute, par le Père SEVIN https://fr.scoutwiki.org/Po%C3%A8me_de_la_loi_scoute

[11] La mère du Christ est souvent invoquée sous des vocables faisant référence aux milieux naturels, ancrant la piété populaire dans une territoire où elle s’est révélée : ND de la grève ; ND du Chêne ; ND des Landes ; ND des Marais … Une autre référence naturelle en l‘élément « eau » sous sa forme « neige ». En Ardèche, c’est sous le vocable de « Notre-Dame des Neiges » que la communauté et le sanctuaire œuvrent. La mère de Jésus est aussi appelé Etoile, repère dans l’obscurité « qui guide le marin » : « Regarde l‘étoile, invoque Marie, elle te conduit sur le chemin »_D’après une prière de St Bernard de Clairvaux.

[12] La paix avec Dieu créateur, la paix avec toute la création « … à mes Frères et Sœurs de l’Eglise catholique pour leur rappeler l’obligation grave de prendre soin de toute la création. L’engagement du croyant en faveur d’un environnement sain découle directement de sa foi en Dieu créateur, de la considération des effets du péché originel et des péchés personnels, et de la certitude d’être racheté par le Christ. Le respect pour la vie et pour la dignité de la personne humaine comprend aussi le respect et le soin du créé qui est appelé à se joindre à l’homme pour rendre gloire à Dieu (cf. Ps 148 et 96). » Jean-Paul II, 1990

« Que je sache leur montrer vos traces divines dans la nature que vous avez créée, leur enseigner ce que je dois ». Extrait de la prière des chefs écrite par Jacques Sevin

[13] « Saint François d’Assise, que j’ai proclamé, en 1979, patron céleste des écologistes (cf. Lettre Apost. Inter sanctos: AAS 71 [1979], pp. 1509-1510), donne aux chrétiens l’exemple d’un respect authentique et sans réserve pour l’intégrité de la création. Ami des pauvres, ami des créatures de Dieu, il les invita toutes – animaux, plantes, éléments de la nature, et aussi frère Soleil et sœur Lune à honorer et à louer le Seigneur. Selon le témoignage du Pauvre d’Assise, en étant en paix avec Dieu nous pouvons mieux nous consacrer à bâtir la paix avec toute la création, inséparable de la paix entre les peuples.

Je souhaite que son inspiration nous aide à garder toujours vivant le sens de notre  » fraternité  » avec toutes les choses qui ont été créées bonnes et belles par Dieu tout-puissant, et qu’elle nous rappelle le grave devoir de les respecter et de les préserver avec soin, dans le cadre de la fraternité humaine la plus large et la plus haute. »_Jean-Paul II_1990

[14] « Dans l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique ! Car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ».166 L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. » LS_236. Jean-Paul II , Lett. apost. Orientale lumen

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