Dans une vallée de l’Ardèche, à Saint-Pierre-de-Colombier, un projet ambitieux de construction d’une basilique avec ses infrastructures fait couler beaucoup d’encre et suscite des questions quant à la prise en compte des espèces et des milieux dans le projet d’aménagement. L’occasion de s’interroger sur l’articulation de l’évangélisation et de l’écologie en ces temps d’effondrement.
Du bruit dans la vallée
Dans le village de Saint-Pierre-de-Colombier, une opposition au projet constructif s’est organisée jusqu’à la formation d’une ZAD faisant penser curieusement à d’autres combats en d’autres lieux [1]: Notre-Dame des Landes (!) ; Sivens ; etc. La presse nationale s’en étant fait écho, des chrétiens ont eu l‘opportunité de se pencher sur le dossier pour essayer de comprendre les motivations de la grogne.
S’il ne semble pas que le dossier mérite de remise en question sur le plan réglementaire, sinon une grande légèreté dans le traitement administratif et notamment du volet environnemental, nous avons à faire à un dossier classique qui bien malheureusement laisse sans voix nombre d’espèces et de milieux d’intérêt écologique, classé ou non, floristique ou faunistique. Début juillet, la préfecture [2] a précisé que les services de l’Etat avaient instruit le projet correctement sur le volet environnemental, regrettant néanmoins qu’une étude complète n’ai pas été réalisée.
Alors, si l’on ne veut pas entrer dans le discours majoritaire de l‘opposition au projet qui amalgame des motivations anticléricales à la protection des espèces et des milieux, qui rend l’argumentation difficilement audible, on ne peut passer à côté du fait que le projet ne ressemble pas à un autre et pose de toute évidence des questions de fond. C’est le cas pour un chrétien qui reconnait la nature comme œuvre du Créateur, la nature dans le plan d’amour de Dieu pour les femmes et hommes, la nature confiée à l‘humanité pour qu’elle la garde et en prenne soin. Alors bâtir une église de cette ampleur, une basilique en l‘occurrence, est un acte public qui s’ouvre au questionnement des citoyens du pays mais aussi du Peuple de Dieu.
Une occasion manquée
Pour la communauté religieuse, il s’agit de mieux accueillir le flux de nombreux pèlerins qui ne cesse de grossir. Pour cela, on comprend aisément leur besoin d’apporter une réponse logistique pour l‘accueil de très grands groupes au travers un complexe immobilier et paysager. Cependant, la vraie difficulté à comprendre ce projet particulier ne semble pas ajusté sur le champ du droit, le juridique. Le problème est bien ailleurs, bien plus haut.
Lorsqu’on y regarde de plus près et dès le départ de l‘affaire, on s’aperçoit que la faille est davantage de l’ordre du discernement, d’un mauvais discernement qui n’a pas su aligner les besoins réels de la communauté locale avec les enjeux du lieu, du milieu, et du projet. D’une problématique légitime, la réponse apportée n’a pas su ou voulu intégrer la complexité. Dès le départ, le maître d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre n’ont pas jugés bon de mettre la nature ou l‘environnement dans les critères de construction et d’exploitation du projet. La nature était manifestement reléguée au second plan. Nous savons que nombre de donneurs d’ordres n’abordent la question environnementale que par le biais des contraintes réglementaires. Beaucoup mais pas tous, pour des questions d’image parfois mais aussi de valeurs profondes et justes.
Pour ce qui vient de l’Église, c’est en effet choquant, voire scandaleux, pour différentes raisons qui touchent à l‘éthique et au spirituel. Pour le croyant, ce que l’on appelle « environnement » est un terme technico-administratif, puisque nous parlons bien de la Création. Comment l‘oublier ? Disons qu’au-delà du manquement, du péché disons-le, il s’agit bien d’une occasion manquée de placer cette Création dans le cahier des charges du projet dès le début du programme.
Une parole posée
Pourtant, lors d’un colloque en 2016, la communauté porteuse du projet a développé longuement les thématiques de l‘encyclique Laudato Si’ [3]. Elle y développe notamment le changement de paradigme nécessaire à la préservation de la Création, à la sobriété et à la conversion écologique « en vue d’un nouveau style de vie », aux enjeux climatiques et de biodiversité. Une belle parole engageante était partagée. Tout était dit.
L‘encyclique apporte effectivement une nouvelle manière de considérer les besoins au regard de ce que nos territoires peuvent offrir et donc supporter, d’être « comme maître et gardien intelligent et noble » de la nature et non « comme exploiteur et destructeur sans aucun scrupule ». [4]
Se laisser rattraper
Aujourd’hui que le projet est lancé, que les travaux ont débutés et avancés, nous comprenons bien que la séquence « éviter-réduire-compenser » est bien entamée [5]. Il s’agirait donc et d’abord de réduire le projet, non dans son intention puisque cela parait bien tardif encore, mais dans son déploiement et donc ses impacts à venir. Entendons-nous bien, cette réduction ne s’appliquerait pas au besoin réel de mieux accueillir les pèlerins mais à reformuler ce besoin pour le repenser dans une vision équilibrée et sobre sur l’étendue des travaux, dans un premier temps.
Quand on dit impacts, ce sont bien les impacts en phase de réalisation et les impacts en phase de vie, donc dans la réalisation des travaux eux-mêmes et dans l’exploitation dans la durée du site. Un site comme celui-ci, générant un flux humain conséquent, de par sa structure géophysique, architecturale et paysagère, sera toujours en interrelation avec le vivant, les milieux et les espèces. Que la vocation du site soit religieuse ou touristique n’y change pas grand-chose techniquement.
Il s’agira ensuite de compenser d’éventuelles destructions d’habitats naturels sensibles voire d’intégrer la création (compensatoire ou non) d’habitats spécifiques au sein du projet. Pour les séquences « réduire » et « compenser », une quantité d’outils éprouvés et efficaces sont encore mobilisables, des outils de « génie écologique » [6] pour la question des habitats naturels et de l’équilibre écologique du complexe, au bénéfice des espèces protégées ou non puisque toute louent leur Créateur !
Pourtant encore, dans l‘encyclique Laudato Si’ [7], la question qui nous intéresse était explicitement abordée : « Quand on analyse l’impact environnemental d’une entreprise, on en considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et sur l’air, mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son impact sur la biodiversité …/… Il existe des alternatives qui peuvent au moins atténuer l’impact de ces ouvrages … ».
Il s’agit donc bien maintenant de rendre compatible le projet avec les écosystèmes en place, de rendre compatible l‘intention de la communauté avec tous les enjeux de l’accueil au sens large (pèlerins, faune et flore), en acceptant d’infléchir certains aspects au bénéfice d’autres choix plus vertueux, d’autres chemins infiniment préférables. Il y a les travaux dont il faudra réduire l‘empreinte, les choix structurels de paysage qu’il faudra revoir dans une approche vivante et fertile, des choix architecturaux à convertir sinon améliorer pour être facilitateur de biodiversité et d’harmonie plus qu’obstacles, des choix de gestion au service de la vie sous toutes ses formes.
De toute évidence, si la volonté de la maîtrise d’œuvre va dans ce sens, il est tout à fait possible de convertir le programme pour un bénéfice a minima satisfaisant. Au-delà de l‘effort profond de toute démarche de conversion, y compris lorsque l‘on parle de conversion écologique, y compris dans ce type de projet lourd et ambitieux, le chrétien sait bien au fond de lui-même que le bénéfice ce cette conversion en vaut largement la peine et les efforts.
Un lieu qui va vivre
En exploitation, un tel projet va générer de lourdes charges sur le territoire, des charges énergétiques (vie des bâtiments religieux et d’accueils, augmentation du flux de véhicules …), des charges d’approvisionnement (alimentation, produits …) et des charges de gestion des externalités (déchets, traitement …). Naturellement, il sera tout à fait compréhensible et acceptable que ce type de site fonctionne avec des impacts écologiques sur le territoire immédiat ou plus délocalisé. Néanmoins, la manière de prendre en compte ces données en phase de conception pourra alourdir ou alléger énormément les impacts globaux du projet. L’approche systémique propose une approche méthodologique adaptée dans le contexte présent. [8]
Sur la question précise de la restauration que ce soit pour la communauté ou l‘accueil des pèlerins, différentes pistes peuvent être étudiées sur les circuits d’approvisionnement alimentaires vertueux. La production en permaculture par exemple, ou d’autres solutions soutenables à proximité immédiate, avec une charte audacieuse sur la provenance des produits. La gestion des déchets alimentaires permet aussi de générer des ressources mobilisables à des fins heureuses. Tout cela s‘étudie, se travaille sur le cadre du projet, du sanctuaire en l‘occurrence, et sur le territoire plus large.
Il y a donc sur ce point une autre opportunité pour la communauté de raccrocher l’exigence évangélique à la lumière de la Doctrine sociale de l‘Eglise ou de Laudato Si’.
à suivre…
[1] ZAD : zone à défendre. Il s’agit de lieux où des projets d’aménagement démesurés voient se former une résistance souvent citoyenne
[3] Actes du colloque de la FMND sur l‘écologie intégrale (2016) : https://fmnd.org/Formation/Laudato-Si-l-ecologie-integrale/Appel-pour-une-conversion-ecologique-en-vue-d-un-nouveau-style-de-vie
[4] Encyclique Redemptor hominis, Jean-Paul II_1979
[5] Eviter-réduire-compenser : Ill s’agit de la méthodologie en vigueur visant à orienter les gros travaux impactant sur es milieux naturels. Dans ‘ordre, on évite ce qui est évitable, on réduit es impactes dans a mesure du possible puis on compense lorsque les dégâts sont inévitables. Malheureusement, la compensation reste souvent la seule phase objective des projets devant es enjeux économiques
[6] Le génie écologique est une branche d’activités au service des écosystèmes, qui vise à restaurer les fonctions écoogiques des milieux naturels en compatibilité avec les activités humaines. Le génie écologique intervient en phase d’étude amont, assistance à maîtrise d’ouvrage et travaux. Plus d’information : http://www.genie-ecologique.fr/ et http://www.genieecologique.fr/
[7] « Quand on analyse l’impact environnemental d’une entreprise, on en considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et sur l’air, mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son impact sur la biodiversité, comme si la disparition de certaines espèces ou de groupes d’animaux ou de végétaux était quelque chose de peu d’importance. Les routes, les nouvelles cultures, les grillages, les barrages et d’autres constructions prennent progressivement possession des habitats, et parfois les fragmentent de telle manière que les populations d’animaux ne peuvent plus migrer ni se déplacer librement, si bien que certaines espèces sont menacées d’extinction. Il existe des alternatives qui peuvent au moins atténuer l’impact de ces ouvrages, comme la création de corridors biologiques … » Laudato Si’_35
[8] La permaculture est un système de culture intégré et évolutif s’inspirant des écosystèmes naturels. C’est également une démarche éthique et une philosophie qui s’appuient sur 3 piliers : « prendre soin de la Terre, prendre soin des humains et partager équitablement les ressources ».
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- La basilique et le béton (1/2) - 25 août 2020
Merci pour la mise au point ! Une remarque cependant, si en effet « « environnement » est un terme technico-administratif », « nature » que vous utilisez abondement n’est franchement pas mieux.
Je doute que Dieu ait jamais confié la nature aux humains (vous écrivez « la nature confiée à l‘humanité pour qu’elle la garde et en prenne soin. » ), tout simplement parce que les humains font partie de la nature, ou plutôt de la création.
sur ce mot de « nature », cf. la préface de « Manières d’être vivant » de Baptiste Morizot.
bien à vous !
Vous avez parfaitement raison. On jongle entre ces réalités.
On parle effectivement de nature non humaine » lorsque nous parlons du « reste de la nature ». Par ailleurs, « la terre a été donnée par Dieu à l’homme qui doit en faire usage dans le respect de l’intention primitive, bonne », ici dans Centesimdus annus JP II …
Je me permet juste d’apporter une précision qui tend à remettre en question le sérieux de l’article . C’est le mot « production en permaculture ». Il n’existe à ce jour pas d’exploitation agricole permettant une production en permaculture permettant de faire vivre ceux qui y travaillent. À ma connaissance. Mais je rêve que l’on me prouve le contraire. (Ps le bec hellouin produit des stages, et l’inra des recherches. Donc ce be sont pas des exemples.
C’est vous qui le dites « à votre connaissance ». Mais vous avez raison de poser la question puisque l’article ne laissait pas l’espace de développer cette partie. Effectivement, la permaculture est un ensemble de principes (que j’applique sur des dossiers que je traite pour des clients : paysage ; jardins ; design global) qui ne peut pas s’aborder avec le prisme d’une entreprise classique avec un bilan comptable classique.
Il y a une différence entre produire et être économiquement rentable. De la matière alimentaire est bien produite de n’importe-quel jardins qui s’appuie sur les principes de la permaculture. C’est de la « production » même si l’équilibre économique est effectivement compliqué à atteindre dans le modèle actuel, il n’empêche que hors modèle économique donc pour un jardin familial, jardin collectif, etc, il fonctionne parfaitement en produisant légumes, animaux, et autres externalités indispensables à notre humanité : bien-être, reconnexion à la Création, etc.
Nous savons pertinemment que le modèle agricole qui « produit » autant de suicidés, de désastres écologiques, de transfert de « matière » à travers le monde contre toute logique n’est pas satisfaisant et n’est pas soutenable même si elle est sensée « nourrir » nos concitoyens. On ne pose pas la question du « comment ». En permaculture, on met tout dans le bilan comptable de l’entreprise : bien-être ; bilan écologique ; bilan santé ; etc.
Puisqu’au-delà de l’intérêt de cette méthode agro-écologique qui vient en complément d’autre méthodes compatibles avec le vivant (la permaculture utilise aussi utilise aussi d’autres méthodes agronomiques : non-labour ; agroforesterie ; etc), c’est bien un ensemble de pratiques qui vise un fonctionnement écosystémique pérenne et résilient, c’est à dire le fonctionnement naturel et harmonieux de la nature créer et travaillé par l’homme. Pour le chrétien, on parle de la Création, c’est-à-dire la nature dans le plan de Dieu. A ce titre, le chrétien est bien concerné par la manière dont il prend soin la terre !
Alors si certaines structures « jusqu’au- boutistes » ne parviennent pas à l’équilibre économique de par la vente des produits, d’autres structures agricoles (maraîchage, ferme en polyculture-élevage) y arrivent par la mise en place ciblées de ces principes, et c’est déjà extrêmement vertueux. Le bénéfice est multiple : pour l’équilibre humain et social ; le sens du travail en harmonie avec le vivant ; le bon état de la biodiversité ; le bon état écologique des sols ; la capacité à mieux supporter l’évolution du climat ; etc.
On s’aperçoit donc qu’on ne peut pas limiter la permaculture à la dimension production alimentaire. Effectivement, on vise un équilibre systémique. C’est donc l’ensemble de la chaîne de valeur qui est à prendre en compte à l’aune des piliers de celle-ci : prendre soin de la terre ; prendre soin des hommes ; partager équitablement. C’est pour cela que nombre de structures d’insertion intègrent dans leur parcours le jardinage ou l’élevage en s’appuyant sur les principes de la permaculture. On rejoint la dimension sociale de Laudato si’ qui est intimement lié à la dimension naturaliste.
Alors oui la permaculture est une piste pour aborder de nombreux usages et relations sur ce sanctuaire comme ailleurs, qui plus est pour une communauté chrétienne nombreuse !
Et pourquoi ne pas aussi imaginer (!) qu’on puisse limiter le nombre de pélerins en fonctions des capacités d’accueil du lieu? Pourquoi est-ce toujours « normal » d’adapter à grand frais (pas tant les nôtres que ceux des autres vivants) le territoire sur lequel nous vivons à l’arrivée d’humains. Pourquoi ces humains ne repecteraient-ils pas les limites du lieu? Les solutions de remplacement des ecosystèmes pas d’autres, c’est franchement une solution d’ingénieur des ponts-et-chaussées parce que 1°) les non-humains ne changent pas aussi facilement que ça de territoire 2°) comment être sûr que le nouvel endroit proposé (pour autant qu’ils le sachent) sera équivalent alors que nous commençons seulement à comprendre les interactions entre les espèces vivantes ou non au sein d’un écosystème? Quel orgueil…Je ne pense pas qu’il soit déjà trop tard pour « éviter ». Le changement à faire se situe dans les consciences: pourquoi un pèlerinage physique? pourquoi aller si loin de chez soi? pourquoi faut-il absolument se rassembler à plusieurs milliers pour vivre sa foi? On cherche une expérience forte c’est ça? mais on peut la vivre autrement, à nous de le montrer aux croyants. J’irai même plus loin: un pèlerinage en bus: est-ce vraiment un pèlerinage? Oui, je sais, je fâche mais bon, interrogeons nos pratiques aussi au lieu de les imposer autour de nous comme si on avait pas assez d’imagination pour nous adapter aux limites (tiens la crise du Covid va peut-être nous bousculer dans ce domaine?)!
Effectivement quand on voit nombre de petites églises fermées on se demande pourquoi ne pas déjà passer son énergie et son investissement à les entretenir quitte à évangéliser autour ?
Plutôt que de voir les choses en très grand d’emblée ?
A combien d’occasions dans l’année une église de cette taille servirait-elle ? Ne peut-on pas imaginer quelque chose de provisoire, comme de grandes tentes, si cela est ponctuel ?