Jocelyne Porcher, c’est d’abord un parcours atypique : jeune Parisienne issue d’un milieu ouvrier, elle est devenue éleveuse de brebis, avant d’intégrer l’INRA comme sociologue. Aujourd’hui, elle s’oppose avec autant de fougue à l’exploitation industrielle des bêtes qu’aux discours de la « libération » animale.

Dans les années 80, salariée dans une grande entreprise, vous décidez de quitter la ville. Pourquoi ?

J’avais envie d’autre chose. Je suis devenue secrétaire dans une PME en attendant de voir. En arrivant à la campagne, j’ai découvert la vie rurale, les animaux de ferme, la nature, les paysans. Comme les jeunes citadins aujourd’hui, je ne connaissais rien à ce monde, mais, contrairement à certains prosélytes d’une agriculture sans élevage, j’en étais consciente. J’ai pu mesurer l’étendue de mon ignorance en commençant à faire un jardin puis, à l’exemple de mes voisins, à accueillir des poules. J’ai compris en effet que les œufs ne venaient pas de nulle part et que pour manger du poulet, il fallait que quelqu’un l’élève et in fine le tue. Petit à petit, la maison est devenue une petite ferme et, après avoir travaillé avec des chevrières, j’ai décidé de faire de l’élevage. J’ai choisi les brebis corses parce que je les trouvais belles et à ma taille. Elles sont petites, rustiques, sympas, avec une toison de plusieurs couleurs. Elles ont de belles cornes et elles sont faciles à traire à la main.

Quelques années après, vous reprenez des études.

Oui, j’ai suivi un bac agricole en Bretagne. Et c’est au cours d’un stage que j’ai découvert les systèmes industriels porcins. Mes premiers pas en 1990 dans une porcherie industrielle ont été un saisissement et je n’ai cessé depuis de vouloir comprendre les raisons d’être de la violence envers les animaux et d’agir contre elle. Non en condamnant les travailleurs ou en prétendant « libérer » les animaux, mais en décryptant le processus d’industrialisation de l’élevage. C’est la curiosité, le désir de comprendre et la volonté de participer à changer les choses pour les animaux et pour les travailleurs de ces systèmes qui m’ont amenée à poursuivre ma formation jusqu’à la thèse puis à être recrutée à l’INRA et à soutenir une HDR [habilitation à diriger des recherches] en sociologie.

Selon vous, les animaux domestiques « travaillent ». Que voulez-vous dire ?

Les animaux domestiques sont tous ceux qui vivent dans la domus, dans la maison, qu’il s’agisse de l’étable ou de l’appartement. Les vaches sont des animaux domestiques, tout comme les chevaux ou les chiens. Ce qui les différencie, c’est le travail que nous réalisons avec eux et, de ce fait, les conditions de notre vie ensemble. Les éleveurs (je parle des éleveurs, ceux qui font de l’élevage et non ceux qui produisent des animaux comme des choses) ont avec leurs animaux des rapports de production de biens, le lait par exemple, ou de services (le pâturage des brebis en montagne contre les incendies). Les compagnons d’animaux, dits « de compagnie », ont avec leurs animaux des rapports de production de services. Pour un chien, tenir compagnie est un travail. Cela n’a rien de naturel. Idem pour un cheval dans un centre équestre.

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