Que vous inspire le projet de réforme des retraites ?

La première chose qu’on peut dire, c’est qu’on le connait mal, et qu’en soit c’est déjà un problème. Le premier devoir des politiques quand ils gouvernent, c’est la clarté, parce que c’est la clarté qui permet ensuite le débat. On a le sentiment depuis des mois que rien n’est clair dans ce projet, et je crois que c’est assez grave. Nous parlons là de la retraite, pas seulement d’une question technique ou économique, mais de toute une vie de travail pour les gens, et donc de la dignité même du travail. Il y a ici une question fondamentale. La deuxième chose, c’est qu’on parle ici de l’avenir de nos ainés, et on voit bien que dans un moment où la question de la dépendance et de son financement est un sujet brûlant pour beaucoup de familles, il me semble que jouer avec l’inquiétude des gens en ne leur disant pas clairement ce qu’on compte faire de leur avenir, c’est une forme d’épreuve collective que l’on impose à toute une société. Ensuite, l’idée générale de cette réforme est d’établir un système par point, qui me semble assez caractéristique d’une forme de rêve technocratique. On voudrait avoir une sorte de jardin à la française, une forme de régime uniforme et parfait, alors qu’en réalité la diversité des métiers, des parcours et des expériences de vie fait que paradoxalement, l’uniformité est la pire inégalité. La réforme telle qu’elle se dessine peut nous conduire à créer de grandes fragilités, de grandes injustices. Je pense par exemple aux enseignants, puisque j’en suis un. Et paradoxalement elle n’a pas pour effet de redonner un équilibre à notre système des retraites, donc elle va coûter de l’argent. C’est une réforme qui commet donc un contresens. La seule chose importante serait de donner confiance en l’avenir aux Français, par un système équilibré, et ainsi permettre à l’Etat de financer des services publics partout où on en aurait besoin.

Que révèle la grève actuelle ? Que vous inspire-t-elle ?

La grève est d’abord le symptôme de notre grande difficulté au dialogue. La société française a une grande difficulté à faire l’expérience de la discussion, de la conversation civique. Malheureusement, on commence par tout bloquer alors même que le projet de loi n’est pas publié. Le tort en revient au gouvernement, mais on se retrouve dans une situation un peu absurde où on voit des syndicats critiquer une réforme qui n’est pas encore complètement connue, et des ministres défendre une réforme dont ils ne savent pas eux-mêmes quels seront les contours finaux. On en vient tout de suite à des confrontations avant même de discuter. Ça n’enlève rien au fait que je partage l’inquiétude de beaucoup de Français. Par ailleurs, il est triste de voir que parmi les manifestants, certains tentent de sauvegarder des avantages acquis qui n’ont plus de légitimité.

On date souvent la dernière victoire politique par la grève de 1995, avec le projet de réforme de la Sécurité Sociale. La grève et la manifestation sont-ils encore des actes politiques efficaces ?

L’avenir nous le dira, il reste que c’est un moyen de pression non négligeable. Mais on aurait sans doute tout à gagner à retrouver en France une pratique de la discussion. On a l’impression que la grève est d’abord une opposition de postures, et là encore c’est un vrai problème pour la France d’avoir des syndicats si peu représentatifs alors que le syndicalisme est au contraire ce qui peut structurer le dialogue social.

Justement, les dernières mobilisations syndicales se sont plutôt soldées par des échecs. Les derniers mouvements sociaux comme les Gilets Jaunes semblent se faire sans eux. Ont-ils perdu leur centralité dans la lutte sociale ?

Effectivement, la crise des Gilets Jaunes est un symptôme de l’échec des syndicats à fédérer. Il faudrait revitaliser le syndicalisme pour éviter que les syndicats ne soient pas eux-mêmes les représentants d’une minorité défendant des positions maximalistes ou corporatistes. Mais cet échec est une mauvaise nouvelle pour la France, on peine à retisser cet engagement collectif que les syndicats devraient avoir l’occasion de porter.

Propos recueillis par Marie de Geloes 

Limite vous offre de lire ou relire son dossier sur la grève.

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