Le courrier des lecteurs est une mine d’or.

Ce matin, à quelques heures de l’envoi en impression, un courriel nous parvient d’un de vous qui hésite à se réabonner. Il nous reproche d’être devenus au fil du temps des « ardents défenseurs des migrations », et se demande si nous ne finirons pas par «employer l’écriture inclusive.» La rédaction y a réfléchi, mais nous avons déjà assez de mal à relever les coquilles qui se nichent dans nos articles. L’écriture inclusive serait un défi syntaxique bien au-dessus de nos capacités.

À force de prôner l’accueil, Limite serait devenu « politiquement correct ». Pente savonneuse : de la réflexion sur l’accueil on passe aux tentes de migrants dans le jardin de la rédaction. Et des tentes et des barbecues, on en arrive vite à « l’islamo gauchisme », si l’on en croit du moins le philosophe Michel Onfray qui, dans un entretien balancé sur le net, raconte que tout notre mal vient « du quotidien La Croix […] du Concile Vatican II […] et du pape François » (source : Nouvelles d’Arménie, 24 novembre 2020). On le savait imposteur, le voilà aussi complètement débile.

Limite refuse plutôt l’alternative mortifère entre ouverture et fermeture. Dresser des barrières contre le vivant – qu’il soit pangolin ou migrant – ne sert à rien. Nous critiquons les effets du libéralisme, qui déracine les peuples et impose un monde uniformisé. Mais nous ne pouvons rester indifférents face aux drames des migrations. Nous nous levons contre ceux qui, en érigeant des murs, transforment nos pays en ghettos d’opulence.

Rien ne peut justifier cette non-politique qui transforme la Méditerranée en cimetière de la jeunesse du monde. « Tous frères », proclame le pape dans sa dernière encyclique. Si difficile et périlleuse soit-elle, la fraternité est une nécessité vitale, car « personne ne se sauve seul » (Fratelli tutti, 54).

L’accueil ne signifie pas le reniement des différences. Celui qui vient a « le devoir de respecter les valeurs, les traditions et les lois de la communauté qui l’héberge » (vœux du pape François au corps diplomatique, 2016). Si le pape affirme le droit de chacun à émigrer, il rappelle également celui « de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre » (Fratelli tutti, 38). Car « il n’y a pas pire aliénation que de faire l’expérience de ne pas avoir de racines, de n’appartenir à personne » (Fratelli tutti, 53).

Qui fait œuvre de séparatisme, quand ceux qui veulent essayer autre chose que la sacro-sainte croissance sont considérés comme des ennemis de l’intérieur ?

Alors que le pape nous invite à la fraternité, le gouvernement s’agite contre le séparatisme. Le danger de sécession serait tel qu’il justifierait d’empêcher certains parents d’élever leurs enfants comme ils l’entendent, fut-ce dans le respect des principes républicains. Qui fait œuvre de séparatisme, quand ceux qui veulent essayer autre chose que la sacro-sainte croissance sont considérés comme des ennemis de l’intérieur ? La vérité, c’est qu’en menant notre vie simplement, nous sommes des séparatistes en puissance. Et ça, que l’on soit plutôt « islamo-gauchiste » ou lecteur de Michel Onfray.

Cet édito ouvre le dernier numéro de Limite, la première revue d’écologie intégrale. L’essayer, c’est l’adopter !

Commandez-la, abonnez-vous ou retrouvez-la chez votre libraire dès le 21 janvier.

Le numéro 21 de la revue Limite est disponible dès le 21 janvier sur le site de notre éditeur !

Les derniers articles par Paul Piccarreta et Brieuc Havy (tout voir)