Il y a ceux qui en guise de décroissance adoptent la pose subversive, ils écrivent leurs articles sur tablettes, surfent sur leurs Iphone, et font un slogan de chacun de leurs petits détachements. Ils voudraient faire entrer un nouveau système dans le système politique. En réalité ils cherchent à occuper une place restée libre, ce sont les carriéristes de la dernière heure. Que la contemplation précède et ordonne tout programme ne les intéresse pas. Ils sont « politique » uniquement, et c’est une erreur qui dénonce la vanité de ces décroissants de salons. La vie contemplative nous donne l’exemple éclatant d’une vie qui ne serait pas toute entière tournée vers la recherche du progrès.

Les conseils évangéliques dont les moines font profession,  nous sommes invités à les vivre  dans le monde comme des amateurs, la foi Chrétienne étant vécue à l’extrême entre ces quatre murs que sont les vœux d’obéissance, de stabilité, de conversion des mœurs et la vie communautaire. La décroissance deviendrait rapidement une idéologie de plus si elle n’était dictée par le désir d’une croissance plus haute, plus décisive. Ces moines par leur radicalité nous donnent l’origine et le sens d’une éventuelle décroissance et peuvent nous éviter de fabriquer un nouveau fantôme au « panthéon des valeurs ».

L’abbaye bénédictine de Fontgombault, sur les bords de la Creuse nous offre un exemple de cette vie contemplative qui se moque de la croissance parce que trop occupée à servir Dieu. « Seule la croissance spirituelle compte. Pour le reste, c’est par surabondance et intervention de la Providence, nous explique le Père Hôtelier.  Si le recrutement et les richesses affluent, il y aura fondation de nouveaux monastères, et ces deux éléments afflueront selon le bon vouloir de Dieu.  Mais ce que le Seigneur cherche avant tout, c’est que les âmes soient à lui ». Voilà l’avidité du monastère .

Le premier des vœux monastique est la stabilité et se couple avec la vie communautaire. Ennemie de la croissance au profit d’une économie locale : « le monastère produit  tous les légumes, fruits, laitages, viande, œufs et pain, et même électricité. Vêtements et chaussures confectionnés sur place (sauf la matière première!). Corps de métier: fer, bois, électricité, plomberie, maçonnerie ». La stabilité oblige à l’amour, à un amour dans la chair. Entre le cloître, le réfectoire et l’abbatiale,  le prochain vous ne pouvez l’éviter, ici le prochain est proche. Le jour même où l’ennui vous gagne, nul autre point de fuite que l’amour, la prière et le travail qui est comme une prière. « Qu’ils se préviennent d’honneur les uns les autres, déclare la règle de St benoit.  Qu’ils supportent avec une grande patience les infirmités d’autrui soit corporelles, soit spirituelles ».  Au plus près du réel, sans aucun artifice, sans issue : la terre, les pierres de tailles, les cloches. Tout le réel existe plus fort, toute la création.

Le moine fait vœu d’obéissance, « premier degré de l’humilité », il ne s’appartient plus. Humilité car le refus de l’obéissance qui est la faute d’Adam nous fait l’égal de celui à qui nous devons obéissance. Celui qui souhaiterait par sa volonté propre s’élever au-dessus de toute règle devrait non seulement rejeter toute loi positive ainsi que toute contrainte mais également se placer au-dessus des lois de la nature jusqu’à devenir son propre créateur.  L’obéissance nous remet à notre place de créature et est un chemin vers la contemplation. Si je peux m’émerveiller devant la beauté d’un paysage c’est parce que je suis docile à son ordre, dépassé par son harmonie. Le désobéissant ne serait être contemplatif, pour lui Dieu est un concurrent et il ne peut se réjouir de son œuvre. Cette obéissance première, absolument nécessaire à la joie, les moines en vivent de manière plus radicale : ils remettent leur volonté à un supérieur à qui « l’on imputera, comme faute, tout ce que le père de famille (ici Dieu) trouvera de mécompte dans ces brebis ». Docile à un abbé qui n’a de compte à rendre qu’à Dieu, voici leur modèle de gouvernance : « le temporel, subordonné au spirituel ». La décroissance n’est donc pas à rechercher pour elle-même, elle ne serait être seulement une nouvelle stratégie économique . Nous ne serions être décroissants sans être avant tout des obéissants émerveillés.

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21), la question est de savoir en quête de quel trésor sommes-nous. Il semble que le cœur de l’occident soit tout entier tourné vers son pouvoir d’achat, là n’est pas le cœur de ces abbayes. La vie bénédictine est ordonnée par la règle de Saint Benoît, rédigée au VIème siècle. Depuis lors ces hommes vivent sous l’autorité d’une règle dont pas une ligne n’a été augmentée ou retranchée. Il y a là un enseignement peu commun : si la règle n’a pas changé, c’est parce que ces moines sont serviteurs du même Maître depuis 15 siècles et que ce Maître ne change pas ! A l’inverse, notre vagabondage incessant manifeste combien notre maître est instable, notre trésor éphémère, qu’il nous faut sans cesse nous adapter à ces exigences toujours grandissantes car nous en voulons toujours plus. Le monastère ignore le progrès, les moines n’ont que faire de la croissance, ayant épousé la pauvreté:« Que personne n’ait la témérité de donner ou de recevoir quelque chose sans l’autorisation de l’Abbé, ni d’avoir quoi que ce soit en propre, aucune chose absolument, ni un livre ni des tablettes, ni un poinçon : en un mot, rien du tout puisqu’il ne leur est pas permis d’avoir en leur pouvoir ni leur corps, ni leur volonté ». C’est le dernier des vœux monastiques, la conversion des mœurs, coup de grâce à toute velléité de croissance.

Ces moines ne sont pas décroissants, ils ignorent la croissance, le cœur occupé au service d’un autre Maître.  « Qu’on ne préfère donc rien à l’œuvre de Dieu » demande Saint Benoît. La véritable question est qui servons-nous ? Qui est notre maître ? Où est notre trésor ?

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