Le confinement s’avère être l’occasion d’un immense déploiement numérique. Films en streaming, télé-travail, école en ligne, et même … télé-liturgie. Quand on a l’occasion d’être entouré, ne faudrait-il pas plutôt tout débrancher ? Et vivre autour d’un feu Pascal dans son jardin ou devant sa gazinière ?

L’isolement et la solitude n’avaient, jusqu’ici, jamais inquiétés les chrétiens. Des pères du désert aux communautés du fin fond de l’Amazonie, chacun connaissait la promesse évangélique : « Le règne de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 17, 21). Chacun savait qu’en terme de « Règne de Dieu », le confinement n’est pas à craindre. Dans la cellule monastique comme dans la maison familiale, la présence de Dieu se donnait dans la simplicité d’une liturgie domestique. Acclamation du « soleil levant venant nous visiter » au matin (Lc 1, 78) ; bénédiction à celui qui nous offre le « pain quotidien » devant la table dressée(Mt 6, 11)   ; offrande confiante « au maître souverain quand vient la nuit. » (Lc 2, 19)

La technique à la rescousse de l’Église ?

Et voici que la panique du confinement fait passer l’Église à l’heure de la « télé-célébration ». Une foule de prêtres nous offre ses célébrations en streaming, nous conseille de nous faire beau et de nous tenir debout devant notre écran pour suivre la liturgie. Évidemment, on dira que cela permet de « maintenir le lien », que la « technologie nous aide à traverser le confinement », que ça protège beaucoup de chrétiens « de l’isolement », qu’« un chrétien seul est un chrétien en danger », etc. Certes, la technique est toujours la plus efficace, c’est sa définition même, mais on oublie que toute technique est plus qu’un simple moyen. Que le moyen informe et construit la finalité. Mais nous savons aussi que la médiation n’est pas pure transparence, et que cette médiation est décisive. La liturgie nous a appris que les réalités matérielles (cire, flamme, pierre, eau, pain, vin, etc.) sont signifiantes. L’écran l’est donc aussi, il impose sa signification, son monde. Prier devant un écran n’est pas la même chose que de prier devant une icône.[1]

Quelle misère spirituelle nous a poussé à croire que la « communauté » chrétienne ne pourrait persister qu’au travers de streaming paroissiaux ? Comment en sommes-nous arrivés à confondre Corps du Christ et réseau internet ? Syméon le Stylite avait-il besoin de la 5G pour se sentir connecté à l’Église de Dieu ? Theresinha et Francisco vivant dans les hauteurs perdues de la Seirra da Mantiqueira ont-ils besoin de wifi pour se savoir membre de la Communidade des disciples du Christ? 

L’industrie du web ne pouvait rêver mieux pour étendre son réseau et imposer la nécessité de sa 5G et de sa fibre optique. Le « télé– » gagne la liturgie comme il a gagné le travail et l’école. Le vampire pompera nos existences jusqu’aux moindres recoins et se faisant pompera les ressources naturelles. Dois-je faire un schéma pour exposer les conséquences écologiques de nos « télé-communications », y compris télé-liturgiques ? N’aurait-il pas été du devoir de nos pasteurs de nous encourager à célébrer Dieu à la maison plutôt que devant l’écran ?

Le foyer comme Église domestique

Ce confinement pourrait en effet être l’occasion de faire advenir les « Églises domestiques » dont le magistère parle si souvent. Un coin de la maison pourrait être enfin sanctuarisé (et ainsi soustrait au règne de l’écran), un coin de notre temps pourrait être libéré.

Nous aurions pu, hier, nous laver mutuellement les pieds accomplissant ainsi la parole du Christ « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (Jn 13, 15) Le vendredi saint, nous pourrions vénérer le bois de la Croix dans le silence de notre foyer ; et, dans la nuit pascale, à nous de réveiller nos enfants pour allumer, sous les étoiles, le feu de la résurrection en proclamant la victoire du Sauveur.

« Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » (Lc 21, 6) disait Jésus à ses disciples hypnotisés par la beauté du Temple de Jérusalem. Gare à nous qui cyber-contemplons nos églises de pierres pour télé-adorer la présence de Dieu, car « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité » (Jn 4, 23). La résilience de l’Église, pour prendre un mot à la mode, n’est pas à chercher du côté des écrans.

La liturgie est une manière d’habiter le temps et l’espace, le numérique une manière de les abolir. Là où la technique homogénéise et donc efface le temps et l’espace, la liturgie rend à chaque lieu et chaque instant sa transcendance propre, sa puissance de révolution, « chaque seconde [devenant] la porte étroite par laquelle le Messie peut entrer » (Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire). Liturgisons donc nos confinements, faisons de l’espace et du temps de notre maison, le lieu et l’instant du surgissement de Pâque !

Pour la vigile pascale, débranchons tout. Allumons un brasier dans le jardin ou sur notre gazinière et proclamons avec la foule immense des saints : Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !


[1]Ivan Illich, qui refusait de parler dans un micro pour ce que cet objet technique transformait le sens même de la parole doit se retourner dans sa tombe – ou plutôt redoubler de prière pour les morts-vivants que nous sommes.