Le confinement pour éviter les morts n’est pas une solution si évidente, nous a montré Clémence Chastan dans le premier et le deuxième épisode. Cette réponse ponctuelle à une crise permanente ne nous sauve pas. Sans une remise en cause profonde de nos imaginaires marqués par l’idéologie du progrès et une acceptation de l’idée de démondialisation, il sera difficile d’éviter la mort.

S’il est difficile de questionner aujourd’hui la légitimité des mesures de confinement sans passer pour un « terroriste », on peut en revanche souligner avec certitude que cela ne durera pas, pour une raison intrinsèque au confinement, à savoir qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle et qui n’est acceptée que, précisément, parce qu’elle s’entend comme telle. « Les modèles, qui ont été faits sur l’impact de ce confinement, prédisent qu’il serait nécessaire de le maintenir jusqu’à 3 ou 4 mois pour mettre fin à l’épidémie, prévient Pascal Crépey. Mais je doute que la population française puisse maintenir son mode de vie dans ces conditions. Ce qui est probable, c’est que l’on parvienne à un niveau de circulation du virus suffisamment bas et une gestion des cas graves plus faciles pour justifier un assouplissement de règles ». D’autres modèles, ainsi de celui présentés par les épidémiologistes de l’Imperial College of London, tablent sur une durée de 12 à 18 mois pour contenir le virus suffisamment longtemps d’ici à la découverte d’un vaccin; une durée qu’aucune société ne serait en mesure de tenir, comme le souligne les auteurs dudit scénario, rappelant ainsi que les mesures de confinement n’ont pas pour objectif d’enrayer la pandémie à proprement parler, mais simplement de la ralentir pour permettre au système de santé de faire face, de s’organiser.

Le monde d’après… quoi ?

Dès lors, il convient de prendre conscience qu’avant de penser le « monde d’après » au sens « après le coronavirus », déjà faudrait-il nous préoccuper de penser le « monde d’après » au sens « après le confinement »; or, notre gouvernement et les médias sont si investis à, déjà, faire respecter le confinement, qu’il est difficile de ne serait-ce qu’évoquer le fait que ce sacrifice consentie n’aura qu’un demi-effet, et pas l’effet absolument salvateur qui permettrait d’imaginer un après-confinement libéré du virus. Si un vaccin n’est pas découvert et si la propagation du Covid-19 repart de plus belle, alimentée en ce sens par l’absence de mesures de confinement strict de nombre de pays (Suède, Pays-Bas, Corée, etc.) ayant fait le pari de l’immunité collective, quelle décision collective durable prendrons-nous ?

La démondialisation ou la mort

Le pari que je fais avec d’autres est que cette décision sera celle de la démondialisation – bien sûr, c’est un pari que je fais avec une certaine facilité, puisqu’il sied aisément à mes convictions et à la trajectoire dans laquelle j’ai mis ma petite vie de CSP+. Qu’importe : le pari que je fais, est que nous passerons de mesures de confinement individuel au sens de restrictions de la mobilité à l’échelle de l’individu (qui ne pourront constituer que des outils « ponctuels » de gestion de la crise, nécessaires sans doute, mais épisodiques), à des politiques structurelles de « confinement territorial », bref de re-territorialisation des flux et des activités, dont le corollaire est bien la restriction des mobilités (commerciales, touristiques et professionnelles) entre territoires.

« La seule solution pour éviter un effondrement de tout le système, c’est la démondialisation, et rapidement. Tout le monde en sortirait gagnant en termes de bonheur, de santé, de lutte contre le changement climatique, et la biodiversité se porterait beaucoup mieux. Peut-être que ce coronavirus peut permettre de réfléchir là-dessus. »

Serge Morand, écologue et parasitologue, dans son entretien avec Les Jours

A ce titre, il est intéressant de comparer les réactions à l’épidémie coronavirus Covid-19 et celles de 1957 et 1969 à la surnommée « Grippe de Hong Kong » qui provoqua 40 000 morts en France en 2 mois et un million dans le monde : « qui s’en souvient ? », s’interroge Daniel Schneidermann, narrant ainsi avec consternation l’extraordinaire silence de la presse et des gouvernements à l’époque sur le sujet ! Certes, la mortalité supposée de la pandémie actuelle serait 4 fois supérieure, mais est-ce bien là la seule raison ? 1969, ce n’est pourtant pas le Moyen-Âge, et on peut indéniablement supposer que ce silence et cette moindre réactivité face à la pandémie n’est pas lié à une moindre valeur accordée à la vie ou une plus grande indifférence face à la mort…

Tout part à vau-l’eau

Pour Libération, la raison tient au fait que la pandémie du coronavirus « percute une rébellion mondiale contre la mondialisation » et traduit in fine « la conscience aiguë de l’absurdité d’un système »; inversement, et comme le rappelle cet article de LaTribune.fr et l’historien Patrick Zylberman, « l’époque de la Grippe de Hong Kong est à un certain triomphalisme de la médecine : en 1967, le directeur général de la santé américain n’avait-il pas affirmé que « le chapitre des maladies infectieuses était clos » ? ». Quoi, les épidémies ne sont-elles pas l’attribut des sociétés médiévales ou, éventuellement, de quelques peuplades arriérées ?! Et cet article de 2005 paru dans Libération de citer l’analyse de l’historien de la santé publique à l’EHESS Patrice Bourdelais : « à la fin des années 60, on a confiance dans le progrès en général, et le progrès médical en particulier; il y a encore beaucoup de mortalité infectieuse dans les pays développés, mais la plupart des épidémies y ont disparu grâce aux vaccins, aux antibiotiques et à l’hygiène; la grippe va donc, inéluctablement, disparaître » – pour sûr, la mentalité de l’époque n’est pas au psychodrame sanitaire… Voilà donc la différence : dans les années 60, on a confiance dans le progrès, et dans le caractère fondé de notre modèle civilisationnel…

Les Français pour la décroissance

Est-ce bien le cas aujourd’hui ? Selon une récente étude de l’institut Jean-Jaurès sur la sensibilité dans différents pays à l’effondrement, 65 % des Français sont d’accord avec l’assertion selon laquelle « la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s’effondrer dans les années à venir »; et selon un autre sondage Odoxa, plus de 50 % des sondés sont favorables à la décroissance, contre 45 % pour la croissance verte. Bref, la confiance dans le bien-fondé et la résilience de notre système s’effrite, de quoi apporter à la fois des éléments de compréhension de notre réaction collective actuelle, mais aussi des indices quant aux décisions que nous pourrions prendre demain face à cette question…

Lisez Limite !

Demain, alors, qu’en sera-t-il de notre rapport à la mort ? Si, pour reprendre les termes de Philippe Ariès, nous ne reviendrons vraisemblablement pas à une normalisation de la mort comme au Moyen-Âge, notre regard sur la mort, notre rapport à notre vulnérabilité, à la finitude en tout cas, devrait sans doute évoluer. Je crois que la « survie », non pas nécessairement au sens des survivalistes, mais plutôt au sens de la satisfaction des besoins primaires, va être remise au cœur de notre modèle sociétal : reterritorialisation des domaines d’activité dits « stratégiques » car vitaux (alimentation, santé, etc.), retour à la « terre » et aux activités agricoles dans un modèle extensif d’une partie conséquente de la population, réduction majeure des mobilités motorisées à l’exclusion des usages prioritaires, décroissance énergétique combinée à un investissement massif dans l’isolation des bâtiments… Autant de transitions esquissées dans les rapports du GIEC, les ouvrages de la collapsologie, les scénarios de L’Institut Momentum, les enquêtes de l’association Les Greniers d’Abondance, les vidéos de la chaîne « Après l’effondrement », les articles de la revue Limite et les « obsessions » du journal Les Jours, etc. Alors, combien de temps encore va-t-on arbitrer en faveur d’un confinement épisodique ? Pas longtemps… et c’est tant mieux !

Cet article s’inscrit dans une série de trois épisodes intitulée Le prix de la vie. Il a été relu et et édité par Marianne Durano et Théo Moy.