France 2 y a consacré une émission ce mois-ci, l’Assemblée nationale a rejeté la loi l’interdisant en mai dernier, le scandale des « Monsanto papers » a sensibilisé le grand public à ses dangers potentiels, etc. Bref, tout le monde a entendu parler du glyphosate. Ce désherbant total est massivement utilisé pour éradiquer toute végétation soupçonnée de faire de la concurrence aux cultures. On a compris que ce n’est sans doute pas très bon pour la santé, ni pour les écosystèmes, mais c’est si pratique, alors pourquoi arrêter ? Au fond, c’est quoi le problème avec le glyphosate ?

Quel est son impact sur la biodiversité ?

En 2015 une étude de l’OMS à la méthodologie critiquée déclare que le glyphosate est probablement cancérigène. Depuis, la guerre des études scientifiques est déclarée. L’impact du glyphosate sur le point précis de la santé humaine est difficile à établir. Nombreux sont les agriculteurs touchés par des cancers bien trop jeunes, mais à qui la faute ? Ils sont exposés à tant de produits qu’il est difficile de savoir qui provoque quoi, sans parler des effets cumulatifs et des interactions. On s’y perd, et les « anti » manquent de précision au grand bonheur des pro-glyphosate qui peuvent continuer à le recommander sans scrupule.

L’impact du glyphosate sur le point précis de la santé humaine est difficile à établir. (…) Mais un impact dont on ne parle pas, c’est celui sur la biodiversité !

Mais un impact dont on ne parle pas, c’est celui sur la biodiversité ! Le glyphosate est utilisé principalement comme herbicide pour tuer les adventices, ou « mauvaises herbes », comme on les appelle. Or, comme l’explique Vincent Bretagnolle, biologiste au CNRS, ces plantes sont à la base de toute la chaîne alimentaire en milieu agricole, car certaines servent de plantes hôtes aux insectes dont la culture a besoin : « Les insectes sont absolument indispensables, non seulement pour la pollinisation, mais aussi pour tout le travail de décomposition et de remise des éléments minéraux à disposition des plantes. » Paradoxalement, les cultures ont donc besoin d’un peu d’adventices, à gérer avec doigté plutôt qu’à l’arme lourde. La première victime du glyphosate est donc l’environnement lui-même et ses écosystèmes. À terme, les cultures elles-mêmes pourraient péricliter, après élimination de leurs alliés méconnus.

Or l’empoignade se borne au seul sujet de l’impact, controversé, sur la santé humaine. Rien qu’ouvrir le dossier des plantes et des petites bêtes peut valoir d’être classé militant-écolo-antiscientifique-obscurantiste, fût-on chercheur ou ingénieur diplômé.

Y a-t-il une alternative ?

Si certains refusent de chercher une alternative par peur de perdre en efficacité, d’autres y ont pensé, mais soutiennent que renoncer au glyphosate impose de labourer davantage et donc d’endommager l’écosystème sol !

Si certains refusent de chercher une alternative par peur de perdre en efficacité, d’autres y ont pensé, mais soutiennent que renoncer au glyphosate impose de labourer davantage et donc d’endommager l’écosystème sol !

Plus compliqué encore : le glyphosate est employé par certains agriculteurs dans une démarche visant à limiter les labours profonds, à l’aide d’une « culture intercalaire » éliminée d’un coup de Round-up. Or le labour profond trop régulier est en effet dévastateur : il démolit la vie et la structure du sol. Il faudrait donc choisir, et le glyphosate serait plus écolo que la charrue. Pas si simple. De nombreux agriculteurs travaillent sans glyphosate et ne labourent pas plus pour autant. Réciproquement, d’autres labourent et font aussi « le ménage » au Round-up. À l’arrivée, les vastes plaines cultivées sont presque vides de vie ; c’est là que « le printemps s’annonce silencieux », alertent les scientifiques chargés de suivre les populations d’oiseaux.

L’ennui est donc que le glyphosate est aujourd’hui utilisé de manière massive et systématique. Un peu comme l’invective de part et d’autre, dans un débat qui peine à prendre en compte tous les facteurs.

Le bio est-il vraiment une solution ?

Glyphosate assassin vs bio vertueux ? En bio comme ailleurs, des toxiques sont utilisés pour contenir les adventices et ravageurs. Les détracteurs du bio en font leurs choux gras. Il existe même un « bio industriel » qui n’a rien d’écolo. C’est que la nature ne se paie pas de mots : il n’y a qu’en regardant de près quels produits, en quelle quantité, quand, pourquoi, et comment réagit l’écosystème qu’on peut juger une pratique. Nous ne sommes pas dans une impasse, ni une alternative perdant-perdant, mais dans la recherche d’un équilibre entre le rendement de la culture et la place laissée à la vie sauvage, qui elle-même contribue à ce rendement. C’est cet équilibre que vise la permaculture. « De manière générale, explique Vincent Bretagnolle, il faudrait que les agriculteurs soient bien plus dans une démarche consistant à s’adapter à ce qui se passe concrètement sur la parcelle plutôt que d’appliquer de manière systématique un cahier des charges prédéfini. » Le but n’est pas qu’une lutte un brin romantique pour le droit de vivre de nos amies les plantes exterminées. Simplement, la nature n’est pas une usine. Tout est lié au coin des champs. Sans vie sauvage, les cultures vont finir par ne plus produire.

Et moi ?

Si la solution au glyphosate est technique et concerne ceux qui sont compétents, nous, membres de la société civile, avons le droit de nous exprimer. En tant que consommateurs, nous avons un droit de regard sur la provenance et les conditions de production de ce que nous mangeons. En tant qu’êtres humains, coresponsables du monde que nous laisserons derrière nous, nous avons le droit d’exiger que notre ration d’aujourd’hui ne menace pas celle de demain. Sans se trouver des boucs émissaires bien commodes pour autant.

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