Les Britanniques ont voté pour une sortie de l’Union européenne à l’issue d’un référendum historique. Début d’une nouvelle ère.

C’est l’image qui résume cette folle nuit.  Jane Merrick, éditorialiste du quotidien de gauche « The Independant », a twitté ce vendredi matin une photo de l’aube pointant dans le ciel britannique. Son commentaire, « une nouvelle aube se lève », est une référence au slogan de Tony Blair, lorsqu’il fut élu premier ministre travailliste en 1997. Ces mots signifiaient la fin de l’ère thatchérienne, et le début d’une nouvelle époque. Ce soir, c’est au tour de l’ère blairiste, qui croyait remplacer la politique par le marketing, de s’effacer.

Il est assez extraordinaire de voir que l’Angleterre du « Brexit » n’est pas d’abord celle du sud, conservatrice et prospère. C’est d’abord le nord, ex-ouvrier, ravagé par Thatcher, resté ardemment travailliste, voire carrément socialiste. C’est elle qui a pesé de tout son poids dans ce référendum. Birmingham, Newcastle, Sheffield: des villes rouges ! Et le Pays de Galles, bastion des mineurs, des socialistes et des baptistes (les protestants évangéliques ayant donné un soutien spirituel aux prolétaires avec le Réveil du XVIIIe, puis une voix politique, à partir du début du XXe), qui vote majoritairement pour le « Leave » !

C’est le nord de gauche qui a permis le Brexit. Le sud libéral-conservateur a été globalement loyal à Dave Cameron et à son « Remain ». La moitié des conservateurs se sont retrouvés contre cette Europe technocratique qu’ils haïssaient. Mais sans l’apport du vote rouge ils n’auraient pas réussi. Le vieux renard Jeremy Corbyn, chef du parti travailliste rompu au terrain, a bien senti cette dynamique. Il s’est judicieusement gardé de faire campagne.

Il serait vain et naïf de vouloir transposer la situation britannique, ultra-particulière, en France. Plus que le statut du pays, c’est l’histoire, la culture et l’inconscient des peuples qui sont radicalement différents. Que ceux qui rêvent de brûler le siège de la Commission l’admettent, une bonne fois pour toutes. S’il va bouleverser l’UE, le « Brexit » peut au contraire donner des ailes aux fédéralistes, voulant mettre les bouchées doubles pour faire « avancer » l’Europe (vers où ?).

Par ailleurs, il est illusoire de penser que ce « Brexit » va automatiquement régler les problèmes profond qui minent le Royaume-Uni. Des maux dont l’UE n’est guère responsable : le nord ex-industriel ravagé, la privatisation des services publics qui prive aussi le pays de sa souveraineté, le relativisme dominant, la dissolution des familles, l’adolescence permanente dans laquelle vivent certains Anglais dévorés par le boulot et la fête jusqu’à 40 ans (très visible à Londres – mais Paris suit le mouvement), la déchristianisation qui aboutira pour l’Eglise anglicane à la perte de son statut de religion d’Etat, sans doute après la mort de la reine. Sans parler de la question écossaise, et surtout de l’Irlande du Nord. Il est à craindre que ce « Brexit » ne fasse couler à nouveau le sang en Ulster, en réveillant les haines recuites entre nationalistes irlandais et unionistes pro-britanniques. Prions qu’il n’y ait pas d’autres Jo Cox à Belfast et Derry.

A notre tour, qui peut croire qu’en France, être libre de la tutelle européenne nous permettra de régler par magie nos propres problèmes profonds ? Tout cela doit éviter le triomphalisme naïf qui s’affiche sur trop de pages Facebook.

Mais ce vote britannique de gauche, vote de dignité, vote de lutte, vote de souffrance sociale. Ce vote qui, déjouant les pronostics, rejette la globalisation et la dilution de la souveraineté représentées par le projet européen. Ce vote qui réclame la patrie comme bien ultime. Ce vote ne peut pas s’oublier de sitôt. Méditons-le, même pour nous autres Français. Il est lourd de signification.