J’allume ma cafetière, j’enclenche le grille-pain. À peine levé, me voilà déjà à pomper du kilowatt. Chaque jour, il me faut ma dose. Chaque mois, je dois payer mensuellement mon fournisseur d’électricité (vert, pour alléger ma conscience). Pourtant, je le sais, l’huile de coude est là, à ma disposition, abondante et gratuite. Et si la force était en moi ?
« La machinerie automatique »
Il semble que l’énergie dont on vit soit de moins en moins celle que nous donne la tartine de confiture du petit-déjeuner ou le casse-croûte de midi. La véritable énergie, celle qui nous maintient dans la vie sociale, celle sans laquelle on ne peut exister dans une société « avancée », doit arriver en 220v, doit charger notre ordi-phone, faire tourner notre lave-vaisselle, maintenir à température notre frigo…
L’énergie dont on parle quand on est sérieux vient du pétrole, du charbon, du nucléaire, du solaire ou de l’éolien. On peut en être sûr, dans un colloque ou un dossier sur l’énergie, on ne nous parlera pas de la force vitale qui s’éveille en nous après le café du matin; on parlera de la puissance qui permet à votre cafetière de cracher son jus. Limite ne pouvait pas tomber dans ce piège!
De fait, le monde moderne ressemble à une grande machine dont le moteur demande de plus en plus d’énergie. Il ne faut cependant pas croire que cette machine soit là pour répondre à nos besoins et que ce carburant ait vocation à les combler. Il faut bien reconnaître, comme l’écrit Marx en son temps, que nous sommes toujours davantage les « ressorts mécaniques » d’une énorme « machinerie automatique ». Nos vies sont devenues ce par quoi la production-consommation d’énergie peut continuer d’avoir lieu et d’enrichir qui de droit. Nos vies sont le moyen de la croissance.
Chaînon interchangeable d’un « monstre mécanique » dont l’unique but est de produire du pouvoir et de l’argent, telle est la vie du moderne. Et si la chose nous angoisse, nous n’avons d’autre choix que de noyer notre inquiétude par un surcroît de consommation d’énergie – en regardant une série en streaming par exemple – pour relancer plus fort encore la machine.
Le carburant du système, c’est nous
Pourtant, c’est être dupe du monstre mécanique que de se croire à sa merci, de considérer que l’énergie qu’il nous vend est à l’origine de tout mouvement et qu’on ne peut vivre sans elle. En réalité, il n’y aurait pas un seul volt dans nos prises s’il n’y avait pas d’abord des humains, des femmes et des hommes suants, s’usant à la tâche dans les mines, les usines ou les bureaux.
S’il semble sérieux de penser que l’énergie est ce qui arrive dans les prises et se mesure en kW, et qu’il convient dans un dossier sur l’énergie de parler plateformes offshore, centrales nucléaires et éoliennes, c’est que nous avons oublié que l’essence de l’énergie n’est pas mesurable en kW ou en volt, c’est que nous marchons sur la tête. Nos prises murales nous hypnotisent, elles nous font croire que l’énergie est là, disponible, attendant d’être consommée, qu’elle existe par elle-même et que nos vies en dépendent.
Mais en réalité, l’essence de l’énergie, c’est le labeur de l’homme. L’énergie source, ce n’est pas le pétrole, le nucléaire ou le solaire; c’est la force qui entre en moi quand j’inspire, quand je casse la croûte pour reprendre mon travail de plus bel.
[La suite de cet article est à lire dans le 16ème numéro]
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- Des luttes écologiques au Royaume de Dieu - 05/30/1998
- La morale privée/bioéthique n’existe pas - 05/30/1998
- Nous ne vivons pas une crise sanitaire - 05/30/1998
Malheureusement toujours pas disponible en librairie…
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Monsieur le philosophe,
debout sur un piédestal, vous annoncez la bonne parole. « L’essence de l’énergie, c’est le labeur de l’homme, » osez-vous écrire. Je crains que ce ne soit pas dans la philosophie que prend sa source l’essence de l’énergie. Je crois l’avoir découverte dans la littérature avec un alexandrin racinien : « Qui veut voyager loin ménage sa monture. » La résilience de toutes les espèces repose sur leur soin à économiser le plus possible le peu d’énergie dont elles disposent en propre pour survivre.
L’aigle des montagnes est un as de l’aérologie. Le singe nu ne se chauffe pas avec son labeur mais avec le fruit de son escient. Il ne propulse sa barque ni avec les mains, ni avec les pieds. Dans la nuit des temps, son mauvais génie lui fait mettre les voiles puis avec les lumières, la vapeur, le diesel…
« Greta Thurnberg aux nues prouve par sa harangue
Qu’il faut sacrifier ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où vient tout notre mal. »
Bien que ce soit au génie humain de nos anciens que nous devons de brancher l’outillage de notre petit-déjeuner. Faut-il le regretter ? Votre propos de cafetière me remet en mémoire le manifeste écologiste du chef philosophe Ioli, plus soucieux du café que de sa cafetière :
http://le-mont-saint-michel.be/Century_Flyer/doc/Nuku_Hiva.html
Lui aussi voit dans la force de l’esprit qu’il appelle mana, un moyen de sortir de l’impasse anthropique.
Je respecte son point de vue comme le vôtre. Le mien chemine sur une voie différente, une voie de traverse, en marge de l’orthodoxie courante.
L’idée reçue d’une transition énergétique, synonyme de réduction des besoins… et d’écologie punitive associée, serait interdite d’analyse de risques : ainsi se réaliserait la croissance zéro du club de Rome, qualifiée de verte. Le syllogisme d’une humanité habitant un monde fini aux ressources limitées à réserver aux besoins des générations futures triomphe. Quand Colbert fait planter des forêts de chênes pour alimenter les chantiers navals du XXe siècle, il ignore que les navires à cette époque-là ne seront plus construits en bois.
L’espérance réside dans la confiance des hommes en l’homme ; la désespérance dans leur défiance. Et celle-ci conduit à des comportements incohérents dont le plus petit des moindres serait d’apprécier toute science comme sans conscience.
Je côtoie à l’occasion la misère des Haïtiens. Ce peuple vit dans la plus extrême précarité. Alors que nous avons chacun à notre disposition pour vivre n^n chevaux-vapeur pour vivre (dans « l’opulence » ?), un Haïtien n’en a que 1^0 poursurvivre. L’énergie abondante et bon marché est la seule voie pour sortir de la pauvreté une humanité si proche et si lointaine. Celle-là même qui ne connaît qu’une énergie bien moins renouvelable qu’il n’y paraît, le charbon de bois. Le problème à résoudre est de s’évader aussi vite que possible des énergies fossiles. Vaste programme ! Mais faisable dès lors qu’on vise réellement cet objectif avec des moyens raisonnés et non avec des yaquas permacultivés aux peurs incontrôlées d’une prolifération de fins du monde… qui, pour l’heure, continuent à alimenter la rente pétrolière tout en initiant une rente verte tout aussi généreuse pour les spéculateurs avisés. Faisons mentir Cioran : « L’efflorescence des absurdités dévoile une existence devant laquelle toute netteté de vision apparaît d’une indigence dérisoire. »