Dimanche 28 octobre, les Brésiliens ont choisi Jair Bolsonaro comme nouveau président. Au second tour, il a obtenu plus de 55% des voix contre Fernando Haddad, candidat du Parti des travailleurs (PT). Son coup de force a été de dépasser sa base électorale, une classe aisée blanche et éduquée rejetant massivement le parti de Lula et Dilma Rousseff, pour convaincre une partie de la classe moyenne inférieure et des classes populaires. Avec son Parti social-libéral, il a orienté sa campagne sur la dénonciation de la corruption et la promesse d’une sécurité rétablie, ce qui lui a souri. Ni sa misogynie, ni son racisme, ni son autoritarisme affiché n’ont fait reculer les électeurs. L’idéal d’un retour à la dictature comme temps béni d’ordre social et de sécurité a contaminé une majorité de Brésiliens.

Une menace environnementale et sociale

Contrairement aux affirmations des médias, Bolsonaro ne peut pas être considéré comme un « populiste » dans la mesure où il s’appuie sur les élites brésiliennes et notamment sur les marchés financiers qui apprécient son ultralibéralisme et son productivisme. Sa base électorale composée de jeunes, blancs, éduqués des classes moyennes et supérieures tranche avec les électeurs des partis populistes. Ce sont les élites qui l’ont porté au pouvoir. Il est ainsi appuyé par le lobby des grands propriétaires terriens, la bancada ruralista, ce qui fait craindre le pire en matière d’écologie. Alors qu’au Brésil 45 % des terres sont détenues par 1 % de la population, Bolsonaro s’apprête à servir les intérêts des grands propriétaires en sortant son pays de l’accord de Paris. La forêt amazonienne risque de ne pas être protégée en dépit des engagements forts qui avaient été pris comme la replantation de douze millions d’arbre avant 2030. Une accélération de la déforestation est donc à craindre alors qu’en cinquante ans la forêt a déjà perdu 20 % de sa surface. Il y a pourtant urgence pour protéger un poumon vert qui fournit 12 % des réserves d’eau douce de la planète et abrite des dizaines de milliers d’espèces floristiques et faunistiques. Bolsonaro est contre ce qu’il appelle « l’activisme environnemental » et compte favoriser la culture intensive de soja et l’élevage massif des bœufs, dont les steaks représentent déjà 20 % de la consommation mondiale. Son mépris pour les cinq cent mille familles du mouvement des « sans terre », qu’il n’a pas hésité à traiter de terroristes, s’explique aisément. Sa vision d’une expansion de l’exploitation des sols est aux antipodes des convictions altermondialistes de ces paysans qui militent pour leur droit à pouvoir cultiver un terrain. De même Bolsonaro entend expulser les ONG écologistes et remettre en cause les droits des peuples indigènes notamment en ouvrant leurs terres aux entreprises minières.

Vers un Brésil autoritaire ?

Nostalgique de la dictature militaire, le nouveau président a promis un recours massif à l’armée et une libéralisation du port d’armes pour assurer la sécurité de citoyens. Un argument convaincant dans un pays où le taux d’homicide est trente fois plus élevé qu’en Europe. Pour ses électeurs, une plus grande liberté en matière de port d’armes pourrait participer à cette lutte contre la violence, en dépit de ce que l’exemple américain montre des conséquences d’une prolifération d’engins de mort. Il a aussi annoncé la répression de l’opposition de gauche, en accélérant « le nettoyage des marginaux rouges ». C’est cet autoritarisme assumé qui a plu à bien des Brésiliens, notamment ceux qui ne subissent pas la répression militaire. Un sondage de l’institut Ibape publié la veille du second tour confirme que le prochain président est largement soutenu par une majorité aisée de la population. C’est cependant grâce à la captation d’une partie des classes populaires qu’il a remporté le suffrage. Des petits salaires qui votaient encore récemment pour le Parti des travailleurs ont basculé vers cette droite extrême. La colère vis-à-vis des échecs de Lula et de Dilma Rousseff, vécus comme une preuve de l’inaptitude du socialisme à créer une société plus juste, est un élément important du retournement de la partie inférieure de la classe moyenne. Les affaires de corruption qui gangrènent l’ensemble de la classe politique, et notamment le Parti des travailleurs, ont profité au seul candidat à n’être touché par aucune affaire de corruption.

La figure du perdant du second tour, Fernando Haddad, a cristallisé ce ras-le-bol. Plus ou moins converti aux lois du marché et affichant sa rupture avec Lula, il a cherché à rassurer les marchés financiers tout en affichant des positions sociétales plutôt progressistes dans l’espoir de conquérir des électeurs urbains alors même que le PT avait toujours été prudent sur ces questions. En nommant une colistière progressiste et militante pro-avortement, Haddad a perdu une partie de l’électorat pauvre et catholique du Parti des travailleurs. Ils attendaient des valeurs conservatrices et des propositions sociales, on leur a servi la liberté des mœurs ! Un boulevard pour le candidat d’extrême droite qui a passé sa campagne à matraquer le parti des corrompus et son candidat malheureux. Son protectionnisme économique a aussi répondu aux craintes de classes populaires durement frappées par le chômage et observant avec crainte l’entrée de capitaux étrangers, notamment chinois, au Brésil. Enfin Bolsonaro, l’ancien catholique converti à l’évangélisme, a pu faire le plein des voix parmi les évangéliques, de plus en plus nombreux au Brésil, y compris parmi les classes les plus populaires, dans un contexte de polarisation entre des classes populaires catholiques fidèles à la gauche et des classes populaires évangéliques ralliées à la droite.

Contrairement au discours des médias, Bolsonaro n’est pas le produit de la colère du peuple brésilien mais bien avant tout celui d’élites financières et de lobbies économiques pour qui le profit est plus important que les libertés individuelles ou que la sauvegarde de notre planète. Son programme économique prônant la privatisation de nombreuses entreprises publiques, la réduction du taux d’imposition des entreprises, une réforme des retraites, une plus grande dérégulation du secteur financier et l’approfondissement des mesures de flexibilisation du marché du travail se rapproche plus de celui d’un Macron ou d’une Merkel que de celui d’un Mélenchon ou d’une Le Pen. De même c’est des États-Unis et d’Israël que Bolsorano entend se rapprocher. Il a néanmoins su tirer profit des errements d’une gauche de plus en plus corrompue et plus occupée à rassurer les marchés financiers et à flatter les classes moyennes progressistes qu’à répondre aux attentes de justice sociale, de protectionnisme et de sécurité des classes populaires. Là-bas comme partout, quand la gauche délaisse le social pour le sociétal, les capitalistes se frottent les mains.

« S’il n’y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l’idée orwellienne qu’il y a « des choses qui ne se font pas », on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire.

(…) Comme l’écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d’ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l’électricité ! »

Jean-Claude Michéa dans « Pourquoi j’ai rompu avec ma gauche », un entretien avec Aude Lancelin paru dans Marianne en 2013.

 

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