Bernard Friot est économiste et sociologue. Au fil de ses travaux, il a popularisé l’idée d’un « salaire à vie », dont l’objectif est de libérer les travailleurs de l’aliénation que représente pour lui le « marché de l’emploi ». Pour Limite, en octobre 2019, il acceptait d’évoquer sa vision des congés payés, ainsi que la place du loisir dans notre société. Selon ce chercheur populaire, qui revendique sa foi catholique, la lutte pour la réduction du temps de travail doit s’accompagner d’un combat pour la maîtrise du travail lui-même, afin de le soustraire au système capitaliste.  

Propos recueillis par Antonin Gouze ( avec Raphaël Pateloup) / Illustrations de Sarah-Louise Barbett

Limite : En 1936, quinze jours de congés payés sont accordés aux travailleurs. On passe d’une assistance exceptionnelle financée par l’État ou la corporation à des congés réguliers payés par l’entreprise. En quoi cela représente un changement important ?

Bernard Friot : Ce qui change fondamentalement avec les congés payés, c’est que l’on commence à verser un salaire lors du temps hors emploi, et non une prestation sociale d’assistance financée par l’impôt. D’un point de vue théorique, c’est extrêmement intéressant. Les congés payés déconnectent le salaire de l’activité en train de se faire. Cela va à l’encontre de la rémunération capitaliste, qui est une rémunération à l’activité, à la tâche. Le salaire est payé par les employeurs, en lien avec la qualification du poste du travailleur. Ceci est très novateur. 

En 1946, il va également s’agir d’attribuer un salaire à des gens qui n’ont pas d’emploi : les parents, avec les allocations familiales, ou les retraités, avec le régime général de retraite. Cela fait l’objet d’un combat absolument féroce : le patronat ne va pas supporter que des retraités ou des parents aient droit au salaire. La lutte de classe sur la question du salaire déconnecté de l’emploi est donc très violente. Cependant – et il faut d’ailleurs se demander pourquoi – les congés payés sont le seul acquis qui n’a pas fait l’objet de remise en cause patronale délibérée. Ils ont même été utilisés comme un instrument patronal pour éteindre les feux sociaux. Par exemple la troisième semaine de congés payés est issue de l’accord Renaud de 1955, qui était une initiative de l’Etat pour arrêter un mouvement revendicatif de hausse des salaires dans la métallurgie.

Enfin, il y a un autre intérêt à 1936. Ce fut une intrusion des catégories populaires dans le mode de vie bourgeois, qui a suscité un incroyable mépris de classe et un haut-le-cœur de la bourgeoisie capitaliste, qui a vu d’un très mauvais œil la venue de manants sur leurs plages et leurs lieux réservés. Cela n’est pas sans rappeler le mépris de classe que l’on a constaté dernièrement vis-à-vis des Gilets Jaunes.

Limite : Quelles images vous viennent en tête lorsque vous évoquez cette intrusion des classes populaires dans les lieux jusque-là réservés aux bourgeois ? 

De belles photographies ont été prises, où l’on voit tous ces prolos sur la plage, ce qui ne paraît pas du tout normal à l’époque ! Et cela va être complété, à partir de 1945 et les comités d’entreprises, par toute une initiative syndicale très intéressante sur l’appropriation populaire des loisirs. Les comités d’entreprises ont joué là un rôle extrêmement progressiste, en créant des centres de vacances qui ne relèvent pas de la logique capitaliste. Toute une infrastructure de loisirs populaires a été construite. Il faut cependant en parler au passé. Ces infrastructures de loisirs populaires se sont fracassées sur le déplacement des groupes capitalistes vers le luxe et le loisir. Ces groupes ont abandonné l’industrie pour aller vers les services et ont mené la vie dure à tous ces dispositifs, sans que la tradition ouvrière soit assez forte pour s’y opposer.

« L’histoire du salaire au cours du XXe siècle, c’est l’histoire de l’invention de la qualification. On n’est plus payés pour ce que l’on est en train de faire, mais pour
la qualification du poste que l’on occupe. »

Limite : Quelle frontière mettre entre un loisir « capitaliste » et un loisir « communiste » ?

D’abord une frontière dans la gestion de l’investissement, qui est l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Ils ont été en capacité de produire une alternative en termes de non-dépendance vis-à-vis du capital financier, de types de prestations et de contenu progressiste. On n’est plus uniquement dans du divertissement ou du spectacle : on considère que les loisirs peuvent-être des moments de politisation. 

Limite : Ne pensez-vous pas nous avons désormais tendance à préférer des moments de repos à des vacances au sein d’un collectif ?

C’est l’une des difficultés qu’ont rencontrés les comités d’entreprise. Les travailleurs n’ont plus eu envie de se retrouver avec d’autres travailleurs de la même entreprise, ni se voir rappeler les problématiques liées à l’emploi, dans des moments où ils en sont précisément sortis. A travail aliéné, loisir aliéné, cela me paraît évident. On ne peut pas faire une civilisation du loisir, ça n’a pas de sens. Tant qu’on ne change pas le travail, on ne peut pas changer le loisir.

Limite : Que peut on peut répondre à ceux qui prétendent que les français ont trop de congés, et que cela menace l’économie et la productivité ?

La productivité horaire des français est considérable. Tous ceux qui sont allé travailler aux États-Unis peuvent le constater : il n’y a pas de congés payés, les gens travaillent très longtemps, mais le rythme quotidien est assez cool. En France, il y a eu des pressions pour réduire la durée de l’emploi, aussi bien en termes hebdomadaire qu’en termes de cycle de vie global, avec les congés payés et la retraite. Cela a entraîné une réaction patronale considérable en termes d’intensification du travail. Regardez comment le patronat a récupéré les 35 heures pour intensifier le travail.

Limite : Et aujourd’hui, avec les technologies, on peut être sollicité même hors de nos heures de travail.

Oui, avec le numérique, ne pas être dans l’entreprise ne signifie plus que l’on n’est pas en train de travailler dans le cadre de son emploi. Il y a une sorte d’astreinte de fait. Les salariés se retrouvent à avoir un emploi du temps tout à fait imprévisible et ne savent pas quand ils vont être appelés. C’est pour cela qu’émergent des revendications comme le droit à la déconnexion, afin de pouvoir interrompre ses liens numériques avec l’entreprise. Et d’autre part, une revendication de prévisibilité des horaires de travail. Avec les emplois précaires, il y a une imprévisibilité du travail considérable, si bien que même lorsqu’on est hors de l’emploi, on n’est jamais véritablement libres.

Limite : Et c’est là qu’intervient votre proposition de salaire à vie et de retraite à 50 ans. Comment la présentez-vous à des gens qui ne connaissent pas vos travaux ?

Lorsqu’on regarde l’histoire du salaire au cours du 20ème siècle, c’est l’histoire de l’invention de la qualification. On n’est plus payés pour ce que l’on est en train de faire, on n’est plus payés pour le métier que l’on a, mais pour la qualification du poste que l’on occupe. Cela libère le travailleur de l’obligation de faire toujours plus.

Le salaire n’est pas la mesure de ce que je fais, mais la reconnaissance d’une contribution à la production de valeur économique. Donc même quand je ne fais rien, je suis payé. Alors qu’un autoentrepreneur, qui est le pain béni du Capital, n’est payé que s’il fait quelque chose, et à la mesure de ce qu’il fait. Nous sommes là dans l’aliénation absolue, dans l’exploitation absolue. 

Tout l’enjeu de la construction du salaire au 20ème siècle a été d’abstraire la rémunération de la mesure de ce qu’on est en train de faire.

Le salaire est déterminé par la qualification du poste de travail, voire par la qualification des personnes elles-mêmes, à travers le statut de la fonction publique. Un fonctionnaire est payé pour son grade, pas pour son poste. S’il change de poste il ne change pas de salaire car il est titulaire de son grade. Cela donne le régime général de la sécurité sociale, qui crée des fonctionnaires hospitaliers, des retraités avec un droit au salaire, des allocations familiales comme salaire des parents.

Ce sont des débuts. Ce n’est pas fini. Selon cette logique nous sommes très éloignés du statut capitaliste. Dans le statut capitaliste, le producteur est un individu libre sur le marché. Or comme le dit Marx, un individu libre veut dire un individu à poil ! Il a été libéré de toutes ses solidarités territoriales, familiales, etc., et il est nu. Et il va donc pouvoir remplir un panier de droits. Le compte personnel d’activité c’est cela. L’individu va accumuler, en dehors de sa personne, des droits. Mais sa personne reste nue. Il accumule une propriété.

Le capitalisme ne peut concevoir que l’accumulation de propriété : « J’accumule par mon travail des droits, des points de retraite, des droits à la formation. » Et c’est cette accumulation qui garantit mon existence, alors que ma personne n’a pas été atteinte du tout.

Dans le statut en train de se construire et que je défends, la personne est dotée de deux droits : le droit de propriété de l’outil – qui est absolument exclu dans le capitalisme ; et le droit de qualification, le fait que l’on soit titulaire de son salaire. Alors que dans le capitalisme, il faut que l’on reste vulnérable, et donc qu’on ne soit pas titulaire d’un salaire. On peut accumuler des droits, mais des droits à mesure même de notre malléabilité, de notre performance sur le marché, de notre obéissance au Capital. On est mu par la peur, ou par l’ambition.

Limite : Que répondre aux discours libéraux qui disent que des travailleurs libérés à 50 ans ne travaillerons plus spontanément ?

Partons d’un contre-exemple. Ce que l’on appelle la souffrance au travail, c’est le fait que des personnes souffrent parce qu’elles ne peuvent pas travailler comme elles le voudraient. Elles aiment ce qu’elles font, mais ne peuvent pas bien le faire.

Le travail a une valeur anthropologique. C’est une dimension décisive de nos personnalités, aussi bien sa dimension de travail concret – la satisfaction de réussir la construction de cette maison, d’avoir été au bout de ce dossier, d’avoir pu débrouiller une affaire compliquée – que sa dimension abstraite, la production de valeur – je suis content d’avoir, par ce travail, un statut professionnel qui fait que j’ai une responsabilité, des ressources liées à ma qualification.

Vous savez, on en revient toujours à cette anthropologie mutilée du capitalisme. Elle repose sur l’absence de responsabilités sur le travail, qui fabrique des gens mutilés qui vont fuir dans le loisir, dans la consommation, voire la surconsommation. C’est un exutoire à cette irresponsabilité sur ce qui est le cœur de nos vies.

L’anthropologie capitaliste est une anthropologie de mutilation complète de nos personnes. C’est pour cela qu’en tant que chrétien je ne peux pas être capitaliste, ce n’est pas possible. Le capitalisme ne répond pas du tout à notre aspiration à maîtriser le travail.

Limite : La réduction du temps de travail est évoquée par des économistes et penseurs libéraux, par le patronat. Certains voudraient y adosser un revenu universel. Malgré tout, la réduction du temps de travail vous parait-elle un horizon souhaitable ? En allant encore plus loin, seriez-vous prêt à une diminution des jours de congé en échange d’une meilleure maîtrise du travail ?

Encore une fois, pour moi, la maîtrise du travail, c’est ce qui permet de réduire la part de la valeur dans nos vies. Donc si on entend par loisir la part de nos activités qui sont menées hors de la logique de production de valeur économique, je suis pour que cette part augmente. Et donc en aucun cas je ne serais prêt à réduire les activités tenues à distance de la valeur économique contre une meilleure maîtrise du travail.

Pour moi, c’est précisément un des enjeux de la maîtrise par les travailleurs de la production Ça c’est les travailleurs qui doivent décider, pas la bourgeoisie capitaliste. Or pour le moment les travailleurs ne décident rien de tout cela, rien, rien, rien. Y compris les cadres dirigeants ! Ils ne décident de rien sur le fond. Ils sont tenus par les actionnaires. Ils ne dirigent rien en réalité. Dans le capitalisme il y a une irresponsabilité totale des travailleurs sur l’essentiel. Et on les amuse avec de la consommation de distraction, du loisir, du toujours plus. Toujours plus de kilomètres, toujours plus d’avions, toujours plus de tourisme au bout de la Terre…

Limite : Comme au sommet de l’Everest, où désormais il y a la queue sur des kilomètres au sommet.

Oui, tout cela est absurde. Donc encore une fois : un travail aliéné génère toujours du loisir aliéné. C’est pour ça qu’en aucun cas le loisir ne peut être un antidote au travail. Le loisir est toujours à la mesure du travail. Donc, à votre question, êtes-vous prêt à réduire votre temps hors production de valeur pour mieux maîtriser le temps de production de valeur, ma réponse est non. Et j’argumente autour du fait que c’est précisément parce que nous conquerrons la maîtrise sur notre travail en étant nous-même titulaires de notre salaire et propriétaires des entreprises, qu’il sera possible de multiplier les temps où nous ne sommes pas en train de produire de la valeur. Où nous faisons, par exemple de la théologie. Par exemple, c’est quoi, l’irruption du Christ dans notre existence. Il faut du temps pour ça. Du temps notamment tenu en dehors de la valeur marchande.

« En aucun cas le loisir ne peut être un antidote au travail. Le loisir est toujours à la mesure du travail. »

Limite : Quelle place y’a-t-il pour les loisirs dans votre modèle où l’on doit être considéré comme producteur de valeur jusqu’à notre mort ? 

Je ne dis pas du tout que toutes nos activités sont productives, je tiens au contraire à poser clairement la différence entre du travail non productif et du travail productif. Je dis cependant qu’il y a des activités productrices de valeur d’usage mais non reconnue par le marché comme productrices de valeur économique. Ce point est central.

Donc non, le fait que nous soyons propriétaires de notre salaire ne veut pas dire que tout ce que nous faisons est productif. Cela veut dire que notre reconnaissance comme producteur n’est plus mesurée par la somme des activités que nous faisons. Au contraire ! C’est le fait d’être reconnus en tant que producteurs qui nous permet de maintenir le marché à distance de nombreuses activités. Alors que dans une logique capitaliste, vous êtes reconnus comme producteur à la mesure des tâches que vous faites, donc il faut multiplier les tâches si vous voulez être reconnus, ou avoir des ressources. Regardez comme le marché s’étend à tous les domaines de l’existence. Avec Blablacar, Airbnb, et toutes ces technologies nouvelles, on est en train de monétiser tous nos rapports sociaux, l’économie prétendument circulaire où l’on ne se prête pas, on se vend des heures d’outils, des kilomètres de passagers dans notre voiture. C’est un truc épouvantable, nous introduisons la valeur économique dans toutes les relations sociales. Çà c’est l’emprise féroce du capitalisme. Il est clair que le capitalisme ne donne sens qu’à ce qui est évalué monétairement.

C’est terrible. Donc le fait d’être titulaire de mon salaire me permet de mener des activités sans me soucier de leur valorisation monétaire et donc de les maintenir à distance de la valeur marchande. Il faut que beaucoup d’activités soient maintenues à distance de la valeur. Sinon on transforme l’amour en prostitution, on transforme l’autostop en vente de service sur Blablacar. Ou encore les postiers qui doivent désormais vendre leur compagnie aux petits vieux, alors que jusqu’ici, ils leur tenaient compagnie et leur apportaient du pain gratuitement. Le capitalisme, c’est une marchandisation qui monétise tous les rapports sociaux, c’est une catastrophe anthropologique absolue.

Limite : Dans l’écologie intégrale que nous défendons à Limite, on postule la dignité intrinsèque de l’Homme. Or c’est au nom de la dignité que vous voulez rattacher le salaire à la qualification et ne pas laisser le capitalisme et le marché du travail dicter ce qui a de la valeur ou n’en a pas. Mais n’y a-t-il pas un risque dans votre système de postuler que la valeur de l’Homme n’est que liée à son activité productrice ? Cela n’exclue-t-il pas des personnes de très grand âge, des personnes handicapées ?

Pas du tout ! C’est justement parce que je suis reconnu comme productif en tant que personne que je peux tenir de nombreuses d’activités à distance de la valeur. Et je conserve mon salaire quand je suis handicapé, quand j’ai perdu toute autonomie en fin de vie, etc. La grande invention du 20ème siècle c’est que le salaire n’est pas la mesure de l’activité mais la mesure de la qualification qui est une abstraction vis à vis de l’activité. C’est un point fondamental, décisif.

Donc, poser les personnes comme titulaires de leur salaire suscite deux objections. La première : ils ne vont plus travailler. La deuxième : c’est une injonction à travailler jusqu’à la fin de leur vie. C’est absurde et cela montre bien comme nous sommes englués dans l’anthropologie capitaliste. Au point que nous ne puissions même pas imaginer la libération que représente le fait d’être reconnus en tant que personne comme producteur et que nous y objections en permanence soit le hamac pour tous, soit l’injonction à travailler jusqu’à la fin de ses jours.

Limite : Vous avez à plusieurs reprise revendiqué votre foi catholique et votre attachement à la théologie paulinienne. Que puisez-vous dedans ?

La théologie paulinienne est une théologie d’un très grand optimisme sur le destin de l’Humanité et qui postule que l’Homme est capable de Dieu. Je suis dans un petit village, depuis peu, où il y a l’angélus à 7h du matin, à midi et à 7h du soir. L’angélus, c’est cette évocation de l’annonciation dans laquelle on a un premier verset qui dit : « L’ange du seigneur apporta l’annonce à Marie qu’elle serait la mère du sauveur. » Deuxièmement : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. »  Ce qui veut dire : « Oui, j’accepte d’être la mère de Dieu. ». Et troisièmement : « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. » C’est à dire que Dieu est embarqué dans notre humanité. Nous ne sommes pas une religion monothéiste dans laquelle il y aurait un Dieu au-dessus, et des Hommes qui doivent obéir à Dieu. Ce n’est pas un monothéisme le catholicisme, le christianisme, pas du tout. Dans le christianisme, l’Homme engage Dieu, il y a une dimension divine de l’humanité qui fait que Dieu n’est pas une espèce de monade auquel nous serions soumis. C’est une invitation permanente et efficace « Le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous / Prie pour nous marie mère de dieu afin que nous soyons rendus digne des promesses du Christ ». Nous sommes dignes des promesses du Christ. Et la promesse du Christ, c’est la divinité. C’est à dire que nous engageons l’absolu. L’Humanité engage l’absolu. Nous ne sommes pas dans le relatif ou dans la préparation de la mort.

J’ai été très frappé par un mot de Jean Grosjean dans « Le Messie », autour de Jésus, premier d’entre les morts. Adam est le dernier né d’entre les vivants, celui qui arrive à la fin. Jésus est le premier né d’entre les morts. C’est tout à fait autre chose, c’est formidable. C’est à dire qu’il y a du tragique, que ce dernier né des vivant qu’est Adam est engagé dans une œuvre de mort, et précisément, ce tragique de l’Histoire est complètement transformé par quelqu’un qui – étant passé par la crucifixion et l’opposition aux puissants – devient le premier d’entre les morts. Il transforme en œuvre de vie cette dynamique mortifère de l’existence. Et cela c’est formidable. Et quand Saint Paul, dans l’épître aux Romains dit : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » La persécution ? Non. La mort ? Pas du tout. Il y a un en-avant, une dynamique d’existence dans laquelle nous introduit le Christ.

Alors tout cela est porté par une institution qui vaut ce qu’elle vaut, et que malgré tout je respecte parce que sans institution, il n’y a pas de transmission. Si je suis devenu chrétien, c’est parce qu’il y avait une transmission et une Église, sinon je n’aurais rien reçu. Ce n’est pas par une infusion du Saint-Esprit que les choses se font. Ça se fait toujours par une médiation. En en même temps, je ne crois pas du tout dans cette institution, je n’y crois pas du tout. Elle n’est pas l’objet de ma foi. L’objet de ma foi, c’est Jésus Christ, la Trinité. C’est « Credo In unum deum » et « Credo eclesiam ». Je ne crois pas dans l’Eglise, évidemment, l’Eglise n’est pas l’objet de ma foi. Donc ses cotés mortifères m’attristent, mais n’atteignent pas ma foi.

A.G.